Le livre artisanal réalisé par l'auteur et publié aux Editions Fibres du Monde.(154 pages, 10 euros) |
AUX ALENTOURS DE NULLE PART
Sixième volet d'une sorte "d'état" des lieux de l'aventure humaine et, donc, de l'aventure de la matière dans sa dimension de "Conscience Universelle". L'errance et l'impéritie d'une humanité livrée à son "libre-arbitre", à ses fantasmes et à ses caprices, ont mené celle-ci à saccager sa propre mère, la Terre.
Le tissu de la vie, construction si fragile, ne pourra survivre aux appétits orgiaques de la bête irresponsable. Tout disparaitra, anéanti, de ce qui devait être un "Eden".
Ce texte nous plonge dans les derniers spasmes d'un élan vital à bout de souffle. Des scènes rudes où l'on est confronté à une écume d'humanité lessivée, dépossédée de son destin, de vision, de langage.Les derniers soubresauts. Avec, pourtant, quelques fulgurances encore, au fond de certains regards...
Et, à la fin, cette déchirante interpellation lancée par une très vieille femme à la face des Forces de l'Univers...
Extraits
Putain d’flotte
Putain d’flotte
Gouttière immuable
Impitoyable
Arc-boutée
A sa charge
De noyer
Le Monde.
Noyer le Monde
Putain d’flotte
Noyer le Monde
Et tout c’qui s’ensuit
Noyer
Et dissoudre
Et couler vif
Tout atome
Tout être.
Dissoudre
Couler
Diluer.
.............
Reprends-toi
Camarade
Compacte-toi
Fais intégralité
Au foyer rouge
De ta flamme.
Resserre-toi
Réunis-toi
Ressoude-toi
Concentre-toi
A la tiède clarté.
Que les liens
Ne se dissolvent pas
Camarade.
Il n’est pas une cellule
A laisser dans l’ombre
Et dans l’oubli.
Il n’est pas
Un zeste de chair
Que tu puisses abandonner
A la dérive
Des eaux troubles.
Tu y passerais
Tout entier
Camarade
Tout entier
Anéanti.
...........
Fleuves de marteaux épais
Fleuves d’enclumes massives
Fleuves de poings ossus
Fleuves de menaces
Fleuves de haines rudes
Fleuves de craquements
Fleuves d’écrasements
Fleuves béliers
Fleuves torsus de taureaux furibonds
Fleuves
Roulent
Roulent
Roulent
A l’assaut
Des fétus
Soyeux
Du vivant.
Flic floc flac flac
Flic floc flac flac
Chaque goutte
Pissée Dieu sait d’où
A la gueule du Monde
Engraisse le sang mauve
Des fleuves
Et se donne à fondre
Malfaisante
Sournoise
Au corps insaisissable
Qui submergera tout.
Chaque goutte compte.
Ca en fera du submergement
Ca en fera…
...........
Putain d’flotte
Putain d’flotte
Putain de purée de pois !
Je veux voir mes pieds !
Je veux voir mon corps !
Je veux compter mes os !
Qu’on me rende mes os !
Qu’on me rende ma peau !
De quel droit me
Dilue-t-on
Aux fétides eaux
Des marécages ?
Qui a permis ce
Rinçage universel ?
Qui a brisé les vannes, bon Dieu
Qui a brisé les vannes ?
...........
Flic floc flac flac
Flic floc
Flic floc
Flic floc flac flac
Main profond dans boue
Refermer doigts sur boue fuyante
Remonter main
Porter main vers regard
Ouvrir main
Il y a ou
Il y a pas…
Il y a !
Il y a !
Sac à tripes savoir !
Sac à tripes savoir !
Sac à tripes voir petites choses rouges
Grouiller dans boue dans main
Grouiller beaucoup
Plein plein choses rouges
Grouillantes
Vite
Sac à tripes,
Approcher main pleine choses rouges
Vers bouche
Et tirer langue
Et enfourner dans bouche boue grouillante choses rouges
Avaler
Faire descendre
Jusqu’à ventre
Choses rouges grouillantes dans boue.
Aaaaaaaaahhhhh !
Replonger profond main dans boue
Essayer sentir dans main
Choses grouillantes dans boue
Peut-être encore encore
Ramener main vers regard
Il y a ou
Il y a pas
Sac à tripes voir
Il y a !
Il y a !
Vite
Sac à tripes porter main vers bouche
Tirer langue
Aspirer boue grouillante choses rouges
Avaler
Avaler
Faire descendre dans ventre
Boue grouillante choses rouges
Passer langue et main dans barbe
Attraper choses rouges dans main dans barbe
Mettre dans bouche
Avaler
Descendre dans ventre
Roter
Très fort roter
Sac à tripes rire
Plonger à nouveau main dans boue
Sentir si encore choses rouges bouger
Remonter main vers regard
Il y a pas…
Il y a pas !
...........
T’es pris, man,
T’es pris.
Coincé.
Si c’est c’qu’elle veut
T’es mort, man.
Ses mains
Sous sa pelure-concaï
Serrées sur des pointus
Pour sûr.
T’auras pas le temps, man,
Si ça la prend
Si c’est ça qu’elle vise…
T’as rien entendu, putain
Rien capté.
La flotte qui a repris
Ses putains d’flic
Ses putains d’floc
Les cascades
Le fleuve
Grondant encore plus lourd
De ses boues
De ses galets…
Et ces rêves sales
Ces rêves
De vieux qui gueule
Et que des chiens de haine
Déchirent
A toute gueule…
...........
Que regardent ses yeux
De toi, man ?
Que visent-ils ?
La veine violette qu’on devine
Sous ta barbe
Et ses roulis
De sang tiède ?
Ta viande
Coriace
De vieille bête rassie ?
Tes tripes et parties molles
Pour nourrir
Une nichée
Hurlante de faim ?
............
Mais oui ! C’est cela !
T’as compris, man,
T’as pigé ?
La pluie mord jusqu’à la moelle
Ce corps de buisson sec
Le froid de la nuit
Le torture
De sa poigne aveugle
Enfonçant ses griffes
Aiguës
Dans les creux de ses côtes.
Elle tremble
De tous ses os
La petite femelle
Aux yeux d’étoiles vertes
Elle claque des dents
Et son regard brille
Des larmes de la misère
De la douleur.
............
Pauvre défroque
Transie de froid
De douleur
Femelle s’est invitée
De toute la magie
De son regard
D’étoiles vertes
De toute la délicatesse
De ses gestes
D’apprivoisement.
Et moi
Vaincu, abandonné, complice
Rude carcasse solitaire
Sauvage
Je lui ai permis
Ce grappillage
Cette intrusion
Cette prise de corps
Cette nidification…
Dessin Nicolas BEAUPOIL pour le livre. |
Il s’est tu
Le cri
A l’approche du jour
Il se contient ardent
Silencieux
Mijotant au secret instinctif
De la boule de chair
Martyrisée.
Ne l’ai-je pas deviné ?
N’irai-je pas droit
A la source ?
Ne me suffit-il pas
De suivre le fil ?
Bien sûr
A la merci d’un éclair
De lame tranchante
Bien sûr
M’écorchant les pieds
Aux arêtes vives
Des pierres éclatées
Bien sûr
Les jambes lacérées
A la morsure
Des âpres buissons
Mais je devinerai
Entre pierres et racines
Le fil immobilisé
Figé.
Et j’inventerai la source
Et je trouverai
La chair saignante
Et je débusquerai
Le mal
Au flanc
De la bête abattue.
...........
Flic floc flac flac
Flic floc flac flac
Marche
Camarade
Fondu aux brumes effilochées
Glisse-toi
Camarade
A l’escarpement rugueux
Du chemin
Hisse-toi
Camarade
Aux verticalités
Désespérantes
Ignore
Camarade
Les blessures sanguinolentes
De tes membres
Serre les dents
Camarade
Quand roule le caillou
Sous ton pas aveugle
Retiens ton cri
Et avance
Camarade
Un frisson
Inconnu
Se retient de mourir
Et t’attend.
............
Rien
Entre les êtres
Rien
Entre les choses
Rien entre les bêtes et les choses
Que de l’éraillage
Des corps
Et des sens.
Chacun éraille
Le Monde de l’autre
De la griffure
De sa présence.
Il n’est de liens tendus
Petit drôle
Entre les êtres
Entre les choses,
Just proximité subie
Just errance simultanée
Sur les mêmes rives
Just prise de corps
Aux heures implacables
Des fringales
Et des ruts.
...........
Et la plupart ont coulé
Au heurt d’une épave,
A la dislocation
De la planche de salut
Rongée de vers et de termites,
Beaucoup sont morts de faim
Ne pouvant se résoudre
A porter à leurs lèvres
Les chairs décomposées, infectes,
Des cadavres bourdonnant
Sous la masse des mouches,
D’autres en ont crevé, empoisonnés,
Dans des râles de damnés.
Et d’autres, tant d’autres,
Ont fermé les yeux,
Pensé une dernière fois
A leur monde perdu,
Avant de se dissoudre,
Désespérés,
Aux courants glauques.
Bon Dieu de bouillasse,
Bon Dieu d’enfer glaireux,
Bon Dieu de ventre mou,
Bon Dieu d’étron universel.
N’est-il donc pas de rives ?
N’est-il plus de terre ferme ?
Plus de plancher des vaches ?
Par pitié
Que surgisse
Un ilot de granit
Que s’étende
Accueillant et tiède
Un rivage de pierres sèches
Et d’oliviers !
............
« Pourquoi ?
Pourquoi,
Alors que pouvait s’établir,
Fraiche et enthousiaste,
Une civilisation de jardiniers,
De bâtisseurs, de découvreurs
Et de poètes,
Pourquoi n’avoir pas étouffé dans ces âmes
Fraichement irradiées de tes lumières
Les germes âpres
Des orties et des ronces ?
Pourquoi avoir cédé la place
Au moindre assaut
Des forces ténébreuses ?
...........
Comment, dans un Monde
A visée d’Amour universel
A-t-on pu laisser,
Au mépris de toute justice
De toute logique,
Le sexe aux bras de fer
Réduire à la servitude et au silence
Le sexe aux bras de tendresse
Et de consolation ?
Comment, dans certains peuples
Et des siècles durant,
Et sous prétexte de prescription divine,
A-t-il été possible d’infliger
A des millions de femmes
De traverser leur vie
Dans le tunnel obscur
De la soumission
Et de l’inapparence ?
...........
Comment, je te le demande
Les yeux dans les yeux,
Comment est-il possible
Qu’on ait laissé commettre l’irréparable ?
Comment la Lumière, Ta Lumière,
Ne s’est-elle pas imposée
Dans les méandres du cerveau
De la bête élue, choisie de toi, pourtant ?
Il y a bien surgi de l’Art,
De la Musique, de la Poésie,
De la Philosophie !
Pourquoi pas de la Sagesse,
Du Respect, de la Contemplation fraternelle ?
Pourquoi avoir laissé patauger
Dans cette déchéance morale
Des êtres qui avaient tout en eux
Pour briller comme des soleils ?
Lecture publique du texte au Théâtre de Lune, Lyon 1er, en compagnie de Marine DESAUTELS, janv. 2013. |
Ce texte est à écouter dans son intégralité, lu par l'auteur.
Texte publié aux Editions Fibres du Monde 2012
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