samedi 21 mai 2016

Théâtre- CHÂTILLON SUR CHALARONNE 2036 OU " RIEN N'EST JAMAIS ACQUIS A L'HOMME"






Le livre artisanal réalisé par l'auteur.





(Ce livre, désormais n'est plus. Le texte de cette pièce est maintenant inclus dans mon nouvel ouvrage "Ça bruisse, dans la Fourmilière Bipédique" auto-édité en 2023. Voir plus haut dans la Liste.)



CHÂTILLON SUR CHALARONNE 2036 OU "RIEN N'EST JAMAIS ACQUIS A L'HOMME" (*)





Nous sommes en 2036 et à Châtillon sur Chalaronne, l’on s’apprête à fêter la cinquantième édition du Festival National de Théâtre  Contemporain Amateur. Oui, mais nous sommes surtout en l’An 09 de la Nouvelle et Intangible Constitution Socle d’une Société Humaine Eclairée, dite Constitution de l’an 01 qui régit désormais, de manière drastique, l’ensemble des activités  humaines. Et la foudre, promise depuis des années à tous ceux qui s’adonneraient encore aux « pratiques artistiques dégénérées préhistoriques » va frapper. Dur et sans pitié.

Trois personnages, le rôle du Préfet a été écrit au départ pour un homme mais le hasard de la distribution a fait que le Préfet est devenu une Préfète et ça marche très bien. Donc, chères troupes, ne vous prenez pas la tête avec ça.     Durée environ 40 minutes. Texte écrit dans le cadre de l'opération "Théâtre à domicile" initiée pour la 30ème édition du Festival National de Théâtre Contemporain Amateur de Châtillon sur Chalaronne en mai 2016.



Personnages

La Préfète Spéciale, Déléguée aux Crimes de Résurgence Préhistorique 
Pierre Dumoulin, Maire de Châtillon sur Chalaronne 
Bénédicte Dubreuil, Agent d’éducation, coorganisatrice (clandestine) du Festival de Théâtre Amateur (interdit)



Extraits





Béné     Du grabuge ? 

Pierre     Y’a plus de souris ni de toiles d’araignée ça c’est sûr. Tout emballé dans des cartons. Deux siècles et demi d’archives. Tu vois ça de là… 

Béné    Ca doit en faire, des milliards d’acariens  (Grimaçant) FFFFFRRRROOOUUU !

Pierre     Ca te fait rire ? Y’a vraiment pas de quoi ! 

Béné     Eh, M’sieur le Maire, tu vas pas te mettre à flipper ? Y vont pas nous faire un trou… 

Pierre     Bon, t’arrête ton cirque, Béné, on est dans la merde. Complète, la merde ! 

Béné     Mais qu’est-ce-que tu veux qu’y… 

Pierre    Tu sais où y sont, toute mon équipe, à l’heure qu’il est, les employés comme les élus ? 

Béné     A la cafet’, vu l’heure… 

Pierre     Dans la salle des mariages, assis en rangs d’ognons sur les chaises, avec interdiction d’ouvrir la bouche. Tu comprends c’que ça veut dire ? 

Béné     Mais ça tient pas debout ! Y z’ont rien fait de mal, personne a rien fait de mal! 

Pierre     Si, on a fait, tu le sais bien ! Toi, tu as fait, tes amis, y z’ont fait, moi, j’ai fait, toute la ville a fait et tant d’autres encore. A leurs yeux, on a tous fait et on est dans la merde. Tous !
...............................................................

Pierre     Oui ! Oui ! Je dirai donc, puisque Madame la Préfète Spéciale le permet, qu’elle en soit remerciée, j’affirmerai donc, que les habitants de Châtillon sont heureux de leur sort, que ce sont de braves et honnêtes gens et que mes équipes et moi-même sommes fiers de gérer une telle Communauté. 

Béné     Voilà ! Rien à rajouter ! 

Préfète     Et l’article 16 de cette fameuse liste d’orientations et portant sur l’interdiction faite à tout individu ou groupe d’individus de se livrer à la pratique dégradante de toute activité qualifiée d’artistique à l’époque préhistorique encore si proche mais heureusement révolue, le respecte-t-on, cet article, au sein de l’honnête population de Châtillon sur Chalaronne ? Répondez, Dumoulin Pierre, Premier Magistrat de cette Communauté Humaine peut-être pas si éclairée que vous semblez le dire ? 

Béné     Ah !  On se rapproche du cœur de cible ! Canonniers, à vos pièces ! 

Préfète     Silence Dubreuil ! 

Béné     Comme disait l’autre, « Quand j’entends le mot culture, je sors mon révolver » ! 

Préfète     Plus un mot Dubreuil. Article 17 : « Le mot « culture » ressortit exclusivement du vocabulaire technique agricole et ne peut en  aucune manière être utilisé quant aux supposées appartenances ou connaissances intellectuelles des individus humains ». N’aggravez donc pas votre cas. 

Béné    Qu’est-ce que j’disais, Pierrot, è’ va défourailler la Super Shérif de la civilisation éclairée !
......................................................................

Pierre     L’évènement que vous évoquez, Madame la Préfète Spéciale… 

Préfète     Cet évènement, comme vous le nommez, je ne l’évoque pas, je le désigne, je le dévoile, je le mets en évidence, je l’expose là, à la vue de tous, puant et écœurant, comme une pollution fumante canine sur l’immaculée dalle de marbre d’un palais. Est-ce cela que vous vous apprêtez à défendre, Monsieur le Maire ? 

Béné     Pollution fumante canine ! La Constitution Eclairée interdit aussi de dire « merde de chien qui pue » ? J’serai pas venue pour rien ! Me v’là moins conne, tout d’un coup ! 

Préfète     Nous ne sommes plus au temps des cavernes, Dubreuil. Vous êtes priée de fermer votre bouche de néandertalienne dégénérée. 

Pierre     Madame la Préfète Spéciale… 

Béné     Néandertalienne dégénérée ! Ca va pas, non ? Ca a le droit d’insulter les gens, les Préfètes Spéciales ? Ca a le droit de comparer un Festival de théâtre de renommée internationale à une merde de chien ? Ca peut se permettre… 

Préfète     Vous avouez donc, Dubreuil ! 

Pierre     Non ! On se calme ! 

Béné     Quoi, j’avoue ? Quoi, j’avoue ? Qu’est-ce qu’elle a fait de mal, la Dubreuil ? 

Préfète     Elle s’est rendue coupable d’un acte criminel, la Dubreuil. Et je suis là pour l’établir et prononcer des sanctions contre la criminelle et ses complices. Tous ses complices.
...................................................................

Préfète    Vous vous rendez compte dans quelle fange vous vous vautrez ? 

Pierre     Dans la vie, on se vautre, Madame la Préfète Spéciale, dans des vagues de souvenirs que rien n’effacera jamais ! Moi, moi, je suis un homme n’est-ce pas, qui en a vu de rudes dans sa vie. Et bien croyez-moi si vous voulez, cent fois je suis ressorti d’un spectacle avec la larme à l’œil, le cœur en fusion. A cause des mots qui étaient dits, à cause du talent des actrices et des acteurs, à cause de silences lourds comme des pierres ou tranchants comme des verdicts de glace…
....................................................................

Béné     Monsieur Jourdain, c’est elle ! E’ fait de la poésie sans le savoir ! 

Préfète    De la poésie, moi ? Dubreuil, retirez cette insulte immédiatement ! Je suis une haute fonctionnaire, entièrement dévouée à la Société Humaine Eclairée et à ses infaillibles dirigeants. Pas un scribouillard névrosé, un introspecteur de nombril exémateux, pas un monteur de mayonnaise psychodramatique pour pucelles fantasques, pas un portraitiste halluciné d’aventuriers malfaisants ou de garces hystériques, je ne remplis pas les cerveaux innocents de mes contemporains de contes ineptes et de fadaises existentielles comme d’autres vidangent leurs eaux sales dans le cloaque écœurant d’une fosse septique. Je suis une humaine digne et responsable, moi, pas un… pas un… 

Béné     Comme je vous plains ! Alors, pour vous, c’est ça, un poète, un écrivain, un dramaturge, un diseur d’histoires ? C’est terrible de voir les choses comme ça, avec ce regard qui salit tout…




Lecture "A Domicile" de la pièce chez nos hôtes à Monthieux avril 2036 avec Elisa MONTHY, Alain CELLARD, Chantal PRIMET.




Texte déposé 2016. Auteur SACD
*Le titre fait référence à un ver d'Aragon.
*L’illustration de couverture du livre est une œuvre à plusieurs mains réalisée par des participants à un stage « modèle vivant » dirigé par Guillaume Delorme et offerte à l’auteur qui a servi de modèle ce jour-là qui était aussi le jour de son soixantième anniversaire.