jeudi 31 mai 2018

Théâtre: JUSTE EN D'SSOUS D' LA VACUITÉ DU VER DE VASE



Le livre artisanal réalisé par l'auteur. 92 pages, 8 euros





Juste en d’ssous d’la vacuité du ver de vase

Personnages

Tancrède La Motte Boursaille  auteur du roman

Madame Blanche   la grand-mère de Jérôme (voix off)

Jérôme   Le petit-fils de Madame Blanche (voix off)

Madeleine- La Reine Mado   personnage du roman

Oscar- Le Roi Oscar 1er  personnage du roman

Rachel   personnage du roman

Kévin- Prophète Fourmi Sachante   personnage du roman

Matelot- L’Amiral   personnage du roman
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Mado     Sauvée ? Mon Dieu ! Et Oscar ? Où est mon Noscar ? Oscar ! Oscar !

Kévin     Eh, m’sieur, c’est l’quel son Oscar ?

Tancrède     C’est le brave vieux là-bas. J’y vais. Assois la dame sur cette pierre, là, et va t’occuper de la belle Rachel, elle n’attend que toi !

Kévin     Belle Rachel ? Comment vous savez qu’elle s’appelle Rachel, celle-là ?

Tancrède     Tu sauras tout bientôt, je te dis ! Allez, au boulot, ramène-nous la à la vie !

Mado     Oscar ! Oscar ! S’il vous plait, sauvez mon Noscar !

Tancrède     C’est bon, Mado, on y va ! Il est pas perdu, votre Noscar ! Allez, le Noscar à sa Mado, on rouvre les yeux, on recrache les p’tits poissons dans la flaque et on respire un bon coup ! Voilà !

Oscar     Mais qu’est c’est-y ? Où qu’elle est la Mado ? Mado ! Mado !

Tancrède      Vous affolez pas, Oscar, elle est là, la Mado ! Tiens, la voilà qui arrive…

Mado     Oscar ! Mon Noscar, mon Nonos !

Oscar     Ma Mado ! Mon soleil ! Ma gagouille, ma tartiflette…

Mado    Hooouuuuuuuuuu hoooouuuuuuuuu !

Tancrède     Ca va, ca va, baissez un peu la sirène, Mado, y’a pas d’pompiers dans le quartier. Eh ! Kévin ! Tu t’en sors avec la p’tite ?

Kévin     Ouèille ! L’a ouvert les quinquets ! A’ r’prend son souff’e tout doucement. P’t’ êt’e qu’y faudrait qu’j’y fasse du bouche à bouche …

Tancrède     Holà ! On se calme. C’est moi qui décide pour les bouche-à-bouche et autres tralalères. Pour le moment, tu l’aides à s’assoir et c’est tout.

Kévin     C’est moi qui décide… C’est moi qui décide… C’est qui çui-là qui décide des tralalères ?

Tancrède     Je vais tout vous dire ! Un peu de patience, misère ! Tiens, file-moi un coup de main pour le dernier, là. Il a pas l’air en forme…

Kévin     Ca, faut dire…. Dites donc, c’est un mat’lot. L’ seul qu’a dû rescaper… Ca s’ra pas du luxe pour la suite…

Tancrède    T’occupe pour la suite. Ouais, pas bien vif, le client… Dis, si t’essayais ton bouche-à-bouche, là, pour le coup…

Kévin     Merde ! Pourquoi sur çui-là et pas sur la fille ? C’est pas juste !

Tancrède     Calmos ! Juste le bouche-à-bouche ! Je t’ai pas demandé de lui faire les tralalères ! Allez, ZOU, action !

(Le matelot se met à tousser, à cracher)

Kévin     Sauvé par l’ gong ! Bon, ben, bienv’nue, mec ! T’ l’as échappé belle, j’avais mangé d’ l’ail à midi !

Matelot    Pastingouin du Diab’e !  Qu’a s’est passé ? Où qua j’suis ?

Kévin     Ca, mon pote…Y’a qu’ çui-ci qui sait ! Enfin, à c’qui dit…

Mado     Pardi, y’a qu’lui qua sait ! Y’a toujours qu’ lui qua sait !

Oscar     Tais-toi, la Mado. Oublie pas qu’c’est lui qua tient l’ stylo !

Mado     Pour sûr, c’est fastoche quand on tient l’ stylo ! Tiens, si c’était moi qui…

Oscar     Oui mais c’pas toi. Alors on fait l’dos rond, on attend et on voit !

Tancrède     Mesdames et messieurs, votre attention s’il vous plait. Tout le monde est sain et sauf, soyons heureux !

Mado     Et les deux mille et què’que’ qu’ ont coulé, y sont heureux p’t’ êt’e ben ?

Oscar     Mado ! Les aut’es, y z’ont coulé, y z’ont coulé ! Et nous, on est encore là. Ca veut dire qu’c’était écrit camme ça. Soyons heureux, y’a qu’ça à faire !

Rachel     Pardon, messieurs-dames, qui est-ce qui distribue les cartes ? On m’a dit qu’il y a quelqu’un qui donne les cartes. Comme c’est ma première fois…

Tancrède       Chers amis, comme je le disais, soyons heureux car une page blanche vient de s’ouvrir. Bienvenue à tous dans mon nouveau roman !

Mado     Un r’man ? Pas mal, ça, un r’man ! Ca changera du théât’e. J’en avais un peu marre, du théât’e...

Tancrède     Mado ! Bon, pour ceux qui ne me connaissent pas encore, je me présente : Tancrède La Motte Boursaille, écrivain de théâtre, romans et poésie. Pour vous servir !

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Rachel     Moi, je suis contente que l’heure soit arrivée. Je savais que ça viendrait un jour. Pas où, pas quand, pas comment, pas par qui… Mais que ça arriverait, ça, oui. Alors, Rachel, c’est ça ?  J’aime bien, Rachel. Mais qui je suis, d’où je sors, qu’est ma vie ?

Tancrède     Bon, écoutez-moi. C’est normal, ce manque de mémoire, de repères, au premier réveil. Je viens juste de vous inventer, vos histoires, vos personnalités, vos souvenirs, cela va prendre corps peu à peu. Vous étiez des potentialités ectoplasmiques en attente, par mes mots, par mon écriture et ma volonté, vous deviendrez des êtres de chair et d’action. Bon, vous n’êtes pas tous à égalité. Toi, Matelot, toi Kévin et vous, Rachel, c’est votre première apparition, votre première révélation. Peut-être la seule, peut-être la première d’une série. Je suis heureux de vous avoir donné corps, donné vie, donné âme. Je ne sais encore pas grand-chose de vos destins, cela va se définir, page à page. Mais je vous souhaite la Bienvenue dans mon œuvre. Oscar et Madeleine, Mado, pour les intimes, eux, je les rappelle avec plaisir. Ils sont des personnages importants dans une de mes pièces de théâtre et j’ai pensé qu’ils avaient encore leur place dans cette nouvelle histoire. Heureux de vous retrouver, mes vieux compagnons ! J’espère qu’il en est de même pour vous !

Oscar     J’avoue qu’ça m’fait ben plaisir de m’faire récrire par vous, m’sieur l’auteur ! Surtout qu’ma bonne vieille est dans l’coup encore c’te fois-ci…

Mado     Pardioche, moi  aussi ça m’va ben, m’sieur Tancrède, d’refaire un peu la v’dette pour vot’e z’histoires de tourneboulingues, mais vainguioux, vous m’refaites pas l’coup du Titanic sous les tropiques ! J’ai ben cru que…

Tancrède     On verra, Mado, on verra… Vous savez bien que quand je commence un récit, je ne sais pas vraiment comment ça va finir. Mais bon, vous n’avez pas trop à craindre, Mado, il n’y a pas de raisons qu’il y ait de mauvais plans à votre sujet. Si je vous avais voulu du mal, dans la pièce, déjà, j’aurais pu…

Mado     Ah ben merci ! Ca fait plaisir ! T’entends, mon Noscar ? Si il avait voulu, dans la pièce, qu’y dit ! Qu’est-ce qu’y voulait m’faire, dans la pièce, et qu’il a pas osé ?

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Matelot    Pour sûr, d’ici què’ques jours, tout ça, ça s’ra du passé…Une bonne brise et…

Mado     Mais vous êtes vraiment naïfs! Vous entravez que dalle ! C’est ça, l’histoire qu’y veut nous faire viv’e, l’ pisseur d’encre ! C’t avec ça qu’y va régaler ses lecteurs ! Un groupe de pauv’ nocs largués en pleine jungu’e au miyeu du Pacifique, à la merci de tout c’qua pique, qua mord, qu’ agresse, qua t’ poisonne, qua t’toxique, qua t’ donne la diarrhée, la peste, le choléra, la variole, la pelade, la maxymatose, la décalcification, les hamorroïdes, la fièv’e aphteuse et toutes les salop’ries du monde ! Et à la fin, des années après, les deux ou trois qua z’auront réchappé, y s’ront vach’ment heureux pa’ce qu’y s’ront récupérés par un bateau que’conque qui pass’ra « par hasard »… C't’à dire quand l’auteur,  l’aura rempli l’ nomb’e qu’y faut d’ pages pleines de misères, d’ catastrophes, de larmes, de p’tites, tout p’tites joies et d’grandes détresses, comme l’axige la r’cette des r’mans d’aventures qua plaisent au populo, et qu’y s’ra temps d’ mett’e l’ mot FIN au bas d’ la darnière page.

Et qui c’est les cons-cons d’ la farce ? Les qu’ont tout perdu et souffert camme des martyrs ? Z’ avez pas une p’tite idée ? Ben moi, c’est marre. C’est niet, niet niet et re-niet ! J’arrête, ici et maint’nant !

Oscar     M’enfin, ma Mado ! T’es fatiguée, ça s’comprend…

Mado     Niet !!!

Rachel     Madame Mado, vous mettez pas dans des états pareils, vous voulez de l’eau fraiche ?

Mado     NIEEEEETTT ! Chuis pus là. J’ fais pus partie du liv’e ! Qu’y s’en trouve une aut’e si ça l’amuse, la Mado, c’est fini ! Eh ! Vous entendez là-haut ? La Madeleine, la Mado, c’est fini ! L’ en a marre, la Mado. L’ a pété les plombs, la Mado. A’ s’ casse, la Mado ! A’ vous dit MERDE, la Mado. Merde, merde et re-merde, môssieur l’Ecrivain ! Tuez qui vous voulez, la Mado, alle est p’us là la Mado. (Bras d’honneur) Tiens, ça, c’est pour ta gueule, tortionnaire !

Rachel     Pleurez pas, madame Mado, pleurez pas. On est tous désorientés, mais ça va changer, ça va se mettre en route, on est pas plus bêtes que ceux d’avant, qui avaient rien et qui ont survécu à tout…

Mado     Rêve pas, p’tite, c’est foutu, on va tous crever. Pire qu’ des rats, y sauraient quoi faire eux, pas b’soin d’ couteaux et d’allumettes pou’ s’ faire à becter, pas si cons !

Matelot     Allez, m’dame Mado, nous, on est p’t’ êt’e pas si cons qu’ ça. Les gens, y z’arrivent toujours à s’en sortir. C’est sûr qu’ si on m’avait pas volé mon couteau suisse avant qu’ not’ histoire alle commence, on aurait déjà un bungalow au d’ssus d’la tête et un alicoptère à pédales pou’ faire des tourniquets en haut d’la monta’ne !

Rachel     Vous êtes sûr, vous aviez un couteau suisse avant le naufrage et vous dites que ça nous aurait sauvés…

Matelot     Sauvés… Chais pas, mais bon Dieu, y m’aurait jamais été aussi utile ! Un douze lames ‘vec le tire-bouchon et les ciseaux. Et la scie, p’tite mais mordante, j’ vous raconte pas. Tenez, la cicatrice, là, c’est elle… Et j’invente ren, c’est dans la mémoire qu’y m’a gravée dans la tête, l’ Tancrède. Au milieu des milliards de choses, y’a l’ couteau suisse toujours dans ma poche. J’vous jure !

Mado     Si c’est pas du vice, ça, vous aut’es ! Y sait qu’y va nous larguer au beau miyeu d’ nulle part qu’on risque d’y crever et y nous sucre un p’tit outil d’ ren du tout mais qui pourrait nous sauver la vie ! Mais c’est dégueulasse, y’a pas d’mots ! Je je…

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Kévin     N’approchez pas, mes filles, désormais il y aura toujours cinq pas entre les brebis et le berger. Cinq pas, Toujours. C’est la règle.

Rachel     Cinq pas ? Les brebis ? Le berger ? Ca s’empire. C’est la fièvre. Pauvre Kévin. Tant qu’on n’aura pas des comprimés…

Mado     La fièv’e, j’ veux ben, mais… Non non, c’ t’ un coup du Tancrède, ça fait pas un pli…

Rachel     Ca veut peut-être dire que les choses évoluent, c’est un signe…

Oscar     L’a p’ t’ êt’e un message pou’ nous tous qu’al aurait r’çu dans la fièv’e, ent’e deux diarrhées, va savoir…

Mado     Un vrai chouette plan pou’ nous sortir d’ la merde !

Oscar     Parle, l’ Kévin, on s’ la boucle et on t’écoute, raligieusement…

Kévin     A cinq pas, Toujours. Celui qui Sait a dit cinq pas, Toujours. Car la mesure du savoir est de cinq pas. Du savoir à l’ignorance, Celui qui Sait mesure cinq pas. Chaque pas ébauché de l’ignorant au Sachant efface le savoir du Sachant or le Sachant ne peut savoir moins sous peine de ne savoir rien. Cinq pas, Toujours, jamais moins de cinq pas. Sinon tout savoir disparaitrait et rien ne serait plus de ce monde et de Celui qui Sait. Et le monde alors serait aveugle et sourd aux étincelants piliers de l’univers qui résistent encore et encore aux orages des furieuses trompettes du non-savoir, de la non-mesure des non-pas in-comptés de l’ignorance et de la vacuité. Ainsi a parlé Celui qui Sait dans la nuit douloureuse de l’homme de rien, ainsi Celui qui Sait a-t-il soulevé dans sa paume la fourmi ignorante…

Mado     Mon Dieu, pauv’e petit…

Oscar     Ca fait peur…

Kévin     Les cinq pas du silence ! Les cinq pas, Toujours. Voulez-vous vous dissoudre à jamais dans la fournaise des piétinements irresponsables ?

Rachel     Pitié…

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Tous     Sachant de Toutes Choses

Détenteur du destin

De chacun de tes enfants chéris

Offre-nous le feu de la lumière

Et le feu du foyer

Aide-nous à reconnaitre

La plante qui nourrit

Et celle qui guérit

Epargne-nous la foudre

La tempête

La morsure du scorpion

Le doute qui sape la volonté

Les querelles stériles.

Nous te rendons grâces

Sachant de Toutes Choses

Et confions nos destins

Dans le creux de ta main.

A cinq pas, toujours

A cinq pas, Toujours

Jusqu’à la fusion

Dans le creux de ta main.

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Rachel     Excusez-moi, mais je pense qu’il y a un malentendu. Vous, vous semblez attendre nos supposées actions pour les transcrire dans votre roman et, de notre côté, on attend désespérément que vous écriviez la partition pour que l’on puisse jouer la musique, si je peux me permettre cette métaphore… Et là, je pense m’exprimer pour tout le monde, nous sommes complètement paumés. Nous ne vous en voulons pas, bien sûr, mais on se retrouve dans une nature sauvage inconnue, superbe, sans doute, mais où nous ne savons pas quoi manger sans risquer de nous empoisonner, il n’y a qu’à voir Fourmi Sach… euh… Kévin, je veux dire… qui a bien failli mourir à cause de quelques baies rouges… On n’a pas trouvé un endroit sûr pour se mettre à l’abri, pas un outil pour nous aider…

Matelot     Mon couteau suisse, tiens, pourquoi qu’il est p’us dans ma poche ? Si j’ l’avais, çui-là, j’vous jure…

Tancrède     Matelot ! Continuez, Rachel, si vous avez encore quelque-chose à exprimer…

Rachel     Déjà, si on m’explique qui de vous ou de nous fait ou suit…

Tancrède     Bon, je vois où on en est. La question est bien posée par Rachel. Les personnages, c’est vous et l’écrivain, c’est moi. C’est votre histoire, ce sont vos destins, vos personnalités, vos savoirs et vos ignorances, vos envies et vos décisions. Elle sera tissée de cela, votre histoire collective et personnelle. Moi, je décide du contexte, des circonstances impérieuses, de la philosophie de l’œuvre. Et encore là, suis-je tenu par la commande de la vieille dame…

Vous vous retrouvez dans un environnement inhabituel, mystérieux, inquiétant peut-être, et dans un premier temps, il vous faut survivre. Pas fastoche, O.K. Mais n’oubliez pas, vous n’êtes plus des ectoplasmes inertes : chacun de vous s’est vu  remettre une fiche personnelle, un C.V., comme je l’appelle. Imprégnez-vous-en ! Vous n’y trouverez pas de recettes pour franchir les obstacles, mais les qualités et savoirs personnels et uniques qui permettront à chacun d’inventer ses recettes pour avancer. Vous avez toutes les cartes en main. Faites-vous confiance. Soyez des gens debout, inventifs et généreux et vous la vivrez heureusement cette histoire de Bonheur qui se cultive dans un lieu paradisiaque. Tenez ! Juste ça ! Elle n’est pas magnifique, elle n’est pas paradisiaque, votre île ? J’aurais pu la vouloir de caillasse brûlante et de cactus ! Là, je comprendrais que…

Mado     (bas) R’tiens-moi, l’ Noscar, j’ vas péter une durite…

Oscar     Raspire, la Mado, raspire…

Tancrède     Bon, avant de vous laisser vaquer à la construction de vos destins, c’était quoi, cette petite cérémonie, là, quand je suis arrivé ?     

Rachel     Oh, pas grand-chose, monsieur Tancrède, juste un petit moment de prière, une petite requête de soutien spirituel, pour nous aider…

Tancrède     Des prières ? Elle est bien bonne celle-là ! Vous vous croyez dans la bible ou quoi ? Si vous croyez qu’il va pleuvoir des pelotes de laine et des aiguilles à tricoter, des bouteilles de pinard et des tire-bouchon, je vous préviens qu’il ne faudra pas compter sur moi pour écrire des fadaises pareilles !

Mado     Qu’est-ce qui vous va pas, m’sieur l’auteur ? C’t’ interdit d’avoir d’ la r’ligion ? C’est pas marqué dans les consignes qu’on a pas l’droit à la r’ligion.

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F.S.     Revenons aux écrits sacrés du parchemin.

- Un homme de sagesse, le plus âgé du groupe, tiendra dans sa main le sceptre inviolable de ma volonté et de mon infaillibilité.

Mado     C’est mon Noscar ! C’est lui not’ Chef ! C’est écrit en latin su’ l’ papier navec le tampon d’ssus !

F.S.     – L’homme sage, fidèlement secondé par son épouse, présidera aux destinées de mon Peuple Elu bien aimé de Grande Terre de Sachance.

Mado     C’est moi, Mado, l’Apouse du Chef !

F.S.     – Un Culte sera dévoué à la gloire du Grand Sachant, pour le plus grand bonheur de son peuple bien-aimé. Un clergé se mettra en place pour exercer ce Culte.

- Les deux Pouvoirs, temporel et spirituel, œuvreront ensemble à l’éclatante destinée du Peuple Elu de la Grande Terre de Sachance.

- Les enfants de la Grande Terre de Sachance se conduiront en fidèles sujets de leur Divinité, de leur Roi et de leur Guide Spirituel.

Rachel     Euh, pardon, monsieur l’abbé…

F.S.    Monseigneur, ma fille, Monseigneur, si vous voulez bien.

Rachel     Ah ! Pardon, Monseigneur, juste pour bien être sûre : d’après le latin et le tampon, qui sont les fidèles sujets ?

F.S.     Quiconque du Peuple Elu ne détient ni l’autorité temporelle ni l’autorité spirituelle, ma fille, car telle est la volonté de Celui qui Sait, cela va de soi et cela est écrit. Nul ne saurait se soustraire à la loi de Celui qui Sait. D’ailleurs, une cérémonie du Serment se déroulera très bientôt…

Matelot     Croix d’ bois, croix d’ fer, si j’ mens, j’ vous la mets à l’envers…

F.S.     Ne jure pas, Matelot, face au Ciel, ne jure pas ! A cinq pas, Toujours !

Matelot     Bientôt, j’aurai p’us l’droit d’cracher à dix pas, en Grande Terre d’ Sachance ! Bon, pou’ l’ moment, y a pas eu d’ cérémonie, donc, si qu’vous permettez, j’ai rencard avec une guenon du quartier. Alors, salut la compagnie !

Rachel    Moi aussi, je n’ai pas encore prêté serment, je suis encore libre, en vraie citoyenne républicaine Française. Donc, bye bye la compagnie ! On y va, ami Matelot, vous me présentez votre petite copine et on l’emmène en boite ?

Matelot     Ce s’rait pas correc’, m’z’elle Rachel, d’vant un couronné et un monsignore !

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Reine Mado     Plus d’ cent-trente personnes au total, vous croyez ? Mais c’t un vrai Royaume qu’ le Ciel nous a confié ! Ah ! La gueule d’ ma garce d’ frangine !

Amiral    Un vrai Royaume, Majesté ! Gloire à vot’e Majesté !

Reine Mado     Au fait, en parlant d’ garce, quoi qu’è fait-y, la Rachtouille ? L’a eu sa soupe, c’ matin ? C’est qu’ j’ voudrais point qu’è crève avant l’heure, la p’tite crevure…

Amiral     Dans son cagibi, qu’alle est, Majesté ! L’a eu sa soupe aux orties et aux limaces, camme tous les jours. Et j’y ai donné des fringues des marins à r’priser, qu’alle aie pas d’ la soupe à ren fout’e d’ ses dix doigts. Pis ça l’aide à rafléchir su’ c’ qu’alle a fait… L’ouvrage, ça nettoye la tête, qu’a m’ disait, ma mère…

Reine Mado    «  Chuis Française et Répub’icaine et j’ rafuse d’ prêter sarment à un mona’que autoprocramé et d’vant un qu’a d’venu prophète à cause d’ la diarrhée verte… » J’ vas t’ lui la faire oublier, sa r’pub’ique, à c’te morveuse et a’ va m’ demander pardon à g’noux !

Amiral     Z’avez raison, si j’ peux m’ permette, vot’e Majesté ! Raspect et fidélité ! Vive le Roi Oscar, vive vot’e Majesté !

(A ce moment, longue fusillade et crépitements d’armes automatiques)

Amiral     Z’entendez, Majesté ? Ca tire du côté du village des pêcheurs. Z’ont dû vouloir faire les fortes têtes…

Reine Mado    Crains ren, va, Amiral, y va les fout’ à poil, mon Roi Noscar !

Amiral     Pou’ sûr, Majesté ! C’est qu’ des sauvages analphabètes, sans foi ni loi. A g’noux dans leurs poiscailles, qu’y va les mette, not’ Roi Oscar ! L’ Grand Sachant veille au grain, Majesté. Tiens, ça s’ ca’me déjà ! C’tait juste un feu d’ paille. Pou’ l’ Grand Roi Oscar, HipHipHip Hourra ! HipHipHip Hourra !

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Roi Oscar     Quel beau champ d’ bataille ! Soldats, chuis fier de vous !

Amiral     Merci, Majesté. Vos soldats aussi sont fiers d’ vous servir. Tous prêts à mourir pou’ vous et pou’ leur Reine.

Reine Mado     Sainte Pissouille ! Mais y’en a…y’en a… des tas ! Des tas d’ peaux d’ macaques ! Qu’y sont moches ! Z’avez vu camme y sont moches ? R’gardez le p’tit, là, avec sa gueule de sournois ! Vous croyez qu’y m’détestait z’aussi, c’te ch’tiot-là ?

Roi Oscar     Pardi ! C’est çui qua vous détestait l’ p’us ! Ren qu’un tit vicelard, ‘vec ses yeux écarquillés pou’ fare croire, l’air da ren…

F.S.     Tous étaient le diable, Majesté. Celui qui Sait Tout savait cela, bien sûr, et vous a donné la victoire. Béni soit Celui qui Sait ! A cinq pas, Toujours !

Tous (sauf Rachel)     A cinq pas, Toujours !

(A ce moment, un hurlement de grand singe vient du haut des arbres, juste au dessus du groupe. Une grosse noix de coco tombe et rebondit sur le crâne du Roi Oscar)

Reine Mado     Mon Noscar ! Mon Roi Noscar ! Vite, un do’teur, un do’teur !

Amiral     Pardon Majesté, poussez-vous, laissez-moi faire.

Reine Mado    Mais y faut un do’teur ! T’es pas do’teur, toi ! Au s’cours ! Au s’cours !

Amiral     Ret’nez-la, siouplait… Faites-moi confiance, j’m’y connais en fracabosse, su’ les navires… j’en ai tant vu…

F.S.     Allez-y, mon fils. Que le Grand Sachant vous guide… Majesté, calmez-vous, Majesté, s’il vous plait. Notre Amiral va vous le rendre, vous verrez, avec l’aide de Celui qui Sait…

Reine Mado     L’en restait qu’un là-haut, qu’un ! C’est lui qu’a tué mon Noscar ! Mon Roi Noscar !!!

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F.S.     Vous disiez, Amiral, au sujet de ce coin de jungle malpropre…

Amiral     C’est tout simp’e, z’allez voir camme c’est naturel. Vous v’lez gratter du dollar à la pelle, au tractopelle, même, dans les poches des touriss’, pas vrai ? Et dans quel endroit qu’ c’est l’ p’us facile pou’ leur y faire lâcher, aux touriss’, à vot’e avis, Majesté ?

Reine Mado     Ben, chais pas, Amiral, euh… Une boutique p’t’ êt’e, où c’ qu’on trouve des cartes postales et des coquillages-souv’nirs, des trucs camme ça…

Amiral     Une boutique de souv’nirs… HéHéHé ! Pas mal, vot’e Majesté… Et vous, Monseigneur, une p’tite idée ?

F.S.     Celui qui Sait me souffle dans l’oreille : organiser un pèlerinage avec vente d’indulgences plénières, baptêmes collectifs dans les eaux bleues du saint volcan… Droits d’entrée pour une courte rencontre avec Sa majesté et/ou avec le Prophète du Grand Sachant… Enfin, voilà, mon fils, quelques suggestions…

Amiral     Bien joué, Monsignore ! J’ vois qu’ les vieilles r’cettes du denier du culte et du tronc d’église ça rigole toujours ! Mes félicitations ! J’ retiens ! J’ retiens !

F.S.     A cinq pas, toujours !

Reine Mado     A cinq pas, Toujours !

Amiral     Pardi ! A cinq pas, Toujours ! Bon, OK les boutiques d’ souv’nirs, les pel’rinages, l’industrie du baptême et d’ la bougie, mais après êt’e allé aux ablutions et à confesse, le pél’rin, il a b’soin d’ décompresser, d’ s’éclater ! Et où qu’y va trouver du plaisir, vot’e pel’rin libéré d’ ses péchés et avec son âme toute prop’e d’enfant d’ Marie ? Voulez qu’j’ vous l’ dise ?

Reine Mado     Au troquet, p’t’ êt’e ?

Amiral     Pas loin, Majesté ! Au CA-SI-NO ! Au Casino ! El Casino Grande de Grande Sachance, ses roulettes, ses bandits-manchots, son Cabaret et… ses p’tits à-côtés pour touriss’ !  D’ la distra’tion ? Z’en auront autant qu’y en faut. Nous, on en veut du dollar ben vert ? Camme les Chutes du Niagara, qu’ ça va couler ! Et honnêt’ment gagné ! Au Paradis  d’ Grande Sachance !

Reine Mado     Dans mes bras, Amiral ! T’es un pur génie !

Amiral     C’est vrai, Majesté ? J’ peux lancer les travaux ?

Reine Mado     Pou’ sûr, t’y vas Amiral, rase-moi tout ça et construis-moi mon Las Vraie Garce !

F.S.     Que le Grand Sachant bénisse votre chantier, Amiral ! A cinq pas, Toujours !

Reine Mado-Amiral     A cinq pas, Toujours !

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Tancrède     Non, Rachel, je vous assure. Donc, pour une raison mystérieuse, ce roman m’échappe, ces gens que je ne reconnais plus font n’importe quoi. C’est un véritable cauchemar. Pour moi, et pour vous aussi, Rachel, je le crains…

Rachel     C’est vrai que j’ai vécu des moments très durs. Et… Je vous en demande pardon, Tancrède, mais il m’est arrivé de vous en vouloir… Pardon d’avoir douté de vous, Tancrède, pardon…

Tancrède     Mais non, Rachel, mais non ! Au contraire, c’est moi, je suis désolé … Et c’est pour me faire pardonner, pour essayer de réparer, si c’est possible, que je voulais vous faire une proposition. Voilà, comme je disais, ce que j’écris à votre sujet, désormais, inexplicablement, ça a l’air de passer. Enfin, à peu près… Comme pour le bon Oscar. Alors je me disais, les autres, ils s’en foutront si vous quittez pour toujours cet endroit désespérant. Je ne sais pas, moi, sur un voilier de passage avec un beau navigateur solitaire, et ZOU, partie pour une nouvelle aventure, ma chère Rachel, dans un roman dont je vous promets qu’on ne me le piratera pas !

Rachel     C’est drôlement gentil, Tancrède. Franchement, je suis touchée. Mais je ne peux pas. Je l’aime, moi, votre roman. L’idée était belle. Alors, oui, c’est parti en vrille, quelqu’un ou quelque chose a piraté votre travail, comme vous dites, et bien, tant pis. Advienne que pourra ! Je veux vivre l’aventure jusqu’au bout. Même si ça doit partir en quenouille ! Et puis, je ne suis pas une lâcheuse, monsieur l’écrivain ! Et vous ne pouvez rien dire : c’est vous qui m’avez faite comme ça !

Tancrède     Vous êtes sûre de vous, Rachel ? On continue, malgré tout ?

Rachel     Qu’est-ce qu’il est beau votre château, monsieur Oscar ! Si je pouvais me faire toute petite pour rentrer le visiter…

Oscar     Vous voulez qu’ j’ vous montre vot’e chamb’e, m’z’elle Rachel ? Alle est là, en haut d’ la tour ! C’est la p’us confortab’e ! Y a même une ch’minée pou’ l’hiver, quand y fait froid ou quand c’est la tempête  avec les mouettes, qu’alles crient, ça casse les areilles, les mouettes !

Rachel     Merci, monsieur Oscar, vous êtes un ange, monsieur Oscar !

………………………………………………………

Amiral     (Présentant à la Reine une grosse mallette)  Majesté, veuillez accepter cette offrande de par la grâce de Çui qui Sait et sous l’ regard contemp’atif et tend’e d’ vot’e Peup’e Elu ben aimé ! (Il ouvre la mallette débordant de billets verts.)

Reine Mado     Par Sainte Pissouille ! Du Dollar ! Une valoche d’ dollars ! Un océan d’ dollars, un Pacifique d’ dollars !

Amiral     Et pas n’importe quels Dollars, Majesté ! Du Dollar Sachant ! La monnaie d’ vot’e Pays, Majesté ! Ca sort tout juste des rotatives d’ la Général of Great Sachante Royal Bank !

Reine Mado     Mais y sort d’où tout ç’ta pognon, Amiral ? C’est les touriss’ qua…

Amiral     Ouèille, en grande partie, Majesté…

(A chacune des propositions qui suivent, l’Amiral jette en l’air quelques billets. Oscar les ramasse et en fait un tas vers son château de sable.)

Amiral     Les boutiques de souv’nirs…

F.S.     Bénédicité !

Reine Mado     Les j’tez pas en l’air, Amiral, mes dollars tout neufs ! Eh, touche pas ça, nabot, c’t’ à moi !

Rachel     Ne craignez rien, Majesté, il les ramasse juste. On vous les rend tout de suite !

Amiral     (Continuant de jeter les billets)  Le Parc d’Attra’tions !

F.S.     Bénédicité !

Amiral     La visite du village des sauvages !

F.S.     Bénédicité !

Amiral     Les taxes d’aéroport !

F.S.     Bénédicité !

Amiral    La visite du Palais !

F.S.     Bénédicité !

Amiral     La visite d’ la cathédrale, la vente d’ bougies et d’indulgences !

F.S.     Bénédicité !

Amiral    L’ Casino, les Cabarets, l’ bordel… Oups ! Pardon, vot’e Majesté…

F.S.     Mon fils ! Bénédicité !

Amiral     La carrière d’ craie et la ciment’rie de P’tite Terre, l’ forage d’ gaz de schiste !

F.S.     Bénédicité !

Amiral     L’ Port pétrolier, la raffin’rie, l’ Port méthanier !

F.S.     Bénédicité !

(Oscar, qui a fait un beau tas de dollars, reprend son avion jouet. Il s’amuse à faire des loopings en imitant un bruit de moteur)

F.S.     Le Grand Sachant bénisse votre précieuse Majesté, la Grande Terre de Sachance et son Peuple Elu.

Tous (sauf Rachel)     A cinq pas, Toujours !



Texte déposé à SAC D

Ouvrage autoédité déposé à BNF 2018

ISBN 979-10-97373-10-8

Illustration de la couverture par l’auteur.