Le livre artisanal illustré et réalisé par l'auteur. |
VIVE POUSSIERE
Drôle de récit
métaphysique dans lequel l’auteur nous narre la rencontre entre une gamine
hyper-sensible et aventurière et un vieil homme désespéré. Rencontre par delà
le temps, au travers de quelques grains de poussière. Et tout cela parce qu’il existe, enfouie au cœur de la
matière, une dimension de Conscience Universelle.
Conte philosophique. Illustrations de l’auteur. 92
pages.
Extraits
La petite fille se
faufile rapide entre les buissons et les grands arbres voutés. Malgré qu'elle
les sache redoutables et sans pitié, malgré sa façon de se déguiser en courant-
d'air, elle n'échappe pas aux griffes stupides, bêtement méchantes des
ronciers.
A croire qu'ils sont l'ossature du monde!
Ça la retient aux cheveux, aux chevilles. Elle tire un
bon coup, ça finit par la lâcher, à regret. Un peu fiérote, même, la gamine, de
son courage, de ces larmes qui ne font même plus mine d'humecter ses grandes
perles bleues.
Du courage, elle en est blindée! Puisé directement à
l'indéfectible présence du gros labrador qui l'accompagne, qui l'entortille
dans les entrelacs de sa déambulation de renifleur fou. Puisé aussi au bois dur
et épais du manche du marteau qu'elle tient serré fort fort au fond de la
profonde poche des son jean de garçon manqué.
Avec ces deux-là, sûr qu'elle osera. Aujourd'hui, oui,
elle osera!
Et elle saura!
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La Vie!
La Vie!
La Vie est un immense Pays de menthe et de soleil. Boire piquant, s'enivrer de fraiches odeurs, mordre au
cœur des pommes au sucre, s'encoller le bout du nez et de la langue aux
moellosités de la barbapapa. Plonger en hurlant dans les glaciales embrassades
d'une chute d'eau vive, filer, transpercée de vibrations rayonnantes, à la
folle course de la moto de papa, cramponnée à pleines mains au cuir fauve,
tournebouler, pattes et jambes empêlemelées, avec le gros chien noir sur la
pente d'un talus d'herbe grasse, riant, jappant comme des possédés…
…………………………………
Le vrai monde, avec ses continents inconnus,
insoupçonnés même, avec ses personnages terribles et féériques, avec ses larmes
de diamants et ses sourires d'or fin, avec ses océans rugissants qui happent de
leurs bras liquides les étoiles trop proches et trop naïves, le vrai monde,
avec ses oiseaux de pur esprit et ses serpents ensorceleurs, avec ses tribus de
petits hommes dispensés des lourdeurs ordinaires, le vrai monde ouvre grand ses
portes aux enfants clairvoyants.
……………………………………….
Que savent-ils du monde, les grands, puisqu'ils ne
sont pas restés enfants assez longtemps! C'est qu'il en faut, des vies et des
vies d'enfant, pour ouvrir toutes les portes!
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Elle va quand-même pas l'attacher à une chaise.
L'obliger à faire des dessins ou à tourner en rond dans le petit jardin. Et
puis c'est les vacances, faut lui lâcher un peu la bride, la laisser respirer.
Oublier un peu les si durs moments de l'année scolaire. Les tensions des
derniers mois, ces convocations à l'école, toujours ces problèmes de
discipline, d'inattention pendant les cours, de résultats médiocres, de
punitions, de révolte, de bras de fer. Et pourtant, elle l'aime, cette petite,
ce petit diable ébouriffé, avec ses grands yeux si profonds, si rieurs, si
malins, avec son grand cœur ouvert au chagrin, à la détresse, avec sa façon de
vous faire des petites surprises fraiches, généreuses. Comme elle l'aime, comme
elle l'aime!
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Après tout, tu as raison, petite, va te promener avec
ton chien, va faire tes jeux de piste avec lui dans le bois, va nous cueillir
des mûres desserts, des mûres éclaboussures, des mûres noir-à-lèvres, des mûres
d'amour simple. Amuse-toi, sois heureuse, Mon Cœur, sois heureuse!
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L'homme était arrivé voilà quelques années, cinq, six?
Personne n'aurait su dire exactement. Sac à dos, un soir d'orage méchant.
L'avait bu un bol de lait chaud. Lentement, que ça pénètre bien partout, jusque
là où ça reste toujours froid, comme du marbre. Dans l'bistro, on y avait juste
jeté un coup d'œil de biais, comme à un chien dans une église, pas de méchanceté,
d'ailleurs, juste pour jauger la bête, on sait jamais avec les étrangers...
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On l'avait revu qu'un bon mois plus tard, pour la
Foire. L'avait acheté quatre jeunes poules rouges et un gros pain de seigle. La
patronne du bistrot l'avait reconnu :
« -Tiens, les chauve-souris vous ont pas mangé?
- les vieilles carnes, vous savez... ». Et il avait
repris le chemin du bois.
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« -C'est pas juste, c'est dégueulasse! ».
C'est son mot. Son « Stop! », son
« Ça suffit! » à elle. En malpoli, en sauvageonne, en vulgaire, en
insupportable bébé grognonne, en infréquentable, en ingérable, comme on se
plait à la définir. Par exemple sa maîtresse de l'école:
« -Qu'est-ce qu'elle est malpolie, cette gamine! Ça
promet pour plus tard! Si elle parle comme ça devant un patron... ».
« -C'est pas juste, c'est dégueulasse! ». Tout ce qui
la blesse, tout ce qui la froisse. Tout! Et ça en fait, du pas juste et du
dégueulasse!
Elle en voit partout. Chez les adultes, chez les
enfants, ses camarades, mille fois par jour à l'école. Rien ne passe, à croire
qu'on fait exprès pour l'écœurer, pour la faire pleurer. Ils savent pas quoi
inventer pour pourrir le monde! Pour le rendre laid, imbécile, débile!
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Alors elle s'emporte, elle insulte, elle frappe, elle
balance des coups de pied, des baffes, des mots de granit, des mots de ronces,
des mots de cœur outré, révolté.
Et s'abattent les blâmes, les punitions, les lignes
cent et cent, les rappels au Règlement, les menaces, les menaces de menaces...
Et elle se blinde, la petite, et elle se redresse, et
elle les regarde de toute sa fierté, et elle refuse de baisser les yeux,
jusqu'à ce qu'ils brûlent, alors les larmes lui viennent, de brûlure bien sûr,
mais aussi de détresse, d'incompréhension, d'écœurement. Et elle y va, dans le
coin, comme on le lui ordonne. En maugréant, en serrant les dents, en griffant
l'univers de sa révolte :
« -C'est pas juste! C'est
dégueulasse! ».
……………………………………….
Cette dimension de conscience qui demeure en germe
dans chaque grain de matière et se tricote intimement aux autres paramètres de
l'Univers, fleurit en ondes rayonnantes dans le Vivant. Pour qui sait
l'entendre, la symphonie de la conscience universelle jaillit en notes
lumineuses, en gerbes colorées, en dégoulinades fraiches, en brumisations
vivifiantes, dans le moindre balbutiement de germination. Une musique patiente,
forte et sereine, irradie des êtres les plus simples aux plus complexes. Il ne
se constitue pas une amibe, un fragile brin d'herbe, un frêle insecte, une
vibrillonnante libellule, il ne se développe pas une colonie de lichen, un banc
de plancton, une irisation de cellules primaires, un filet gluant d'algues, il
n'éclot pas un spore, une poussière de pollen, une trace subtile et envoutante
de phéromone, sans que s'étoffe, se densifie, s'illumine, s'affine, l'or de la
conscience.
……………………………….
L'Homme s'est vu confier, offrir en charge, en
responsabilité, l'émancipation, le déploiement à ciel ouvert, de cette force de
générosité et d'amour vivant. Il est l'être par qui l'Amour se veut regarder
Aimer. Par qui le monde se sait monde vivant.
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Je ne traine ma carcasse depuis des ans et des ans que
dans cette idée-là et cela me ronge. Me détruit. Mon cœur est plaie ouverte. La
honte, le dégoût que m'inspire ma propre appartenance à l'humanité, le
sentiment omniprésent de participer, du seul fait de mon humanitude, à un crime
contre la Nature, contre la Vie, le sentiment, aussi, d'avoir concouru à
transformer un espoir de Symphonie Universelle en criailleries et grondements
infernaux, tout cela, je ne puis plus le supporter et j'ai décidé de soulager
ma chère planète du poids de ma présence et de rendre un peu de conscience usurpée
à la virginité de son enveloppe de matière dévivifiée.
Je n'ai personne au monde. Il y a longtemps que je ne
me donne plus, comme seuls compagnons, que ces braves bêtes de poules, de chats
et autres petits cœurs purs qui, sans le savoir et sans prétention,
innocemment, sont la vraie beauté de la vie.
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Je sais, je le reconnais avec plaisir, sincèrement,
que parmi les humains, il se trouve des milliers, des millions de gens beaux
comme tout, scintillants, généreux, ouverts, fraternels, protecteurs,
combatifs, debout.
Je sais que des mères s'interposent, que des hommes se
dressent, que des idées germent et murissent pour des moissons d'utopie. Je
sais.
Ce sera ma consolation.
Je sais. Mais je crois le combat perdu.
Je ne suis plus capable que de souffrir et de pleurer.
Je ne veux plus être un homme. »
Le labrador a horreur de cet endroit-là. Depuis la
première fois. Lui, il se régale dans les fougères tendres ou au bord de la
rivière, à plonger, électrisé, à la chasse aquatique aux ragondins. Il aime
tant la fraicheur, s'humecter la truffe aux tendresses végétales! Mais ces
ronces! Mais ces griffures. Mais ces branches raides qui vous visent aux yeux
et vous accrochent méchamment les oreilles!
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Depuis qu'elle est tombée sur cet entremêlas de
squelette d'arbre mort, de pierrailles oubliées et de ronçailles hirsutes, la
petite fille ne pense qu'à cela. Un lieu magique, un lieu maudit, un lieu
promis. Le Lieu! Le Centre du Monde! Le Mystère du Monde se cache là! Évidence!
A elle offert, rien qu'à elle! Elle a même fait promettre au chien de tenir le
secret! A la vie, à la mort! Si tu mens, tu vas en enfer!
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La voilà collée à la porte sèche. Un regard, comme
pour surprendre la mesure de l'Inconnu, au travers des vitrages brouillés qui
ne laissent rien passer, un petit sourire en coin qui raille:
« - vous pouvez toujours la faire, votre toile
d'araignée toute grise, toute que rien pas même la lumière elle passe, j'vais
vous l'ouvrir c'te porte, et vous servirez plus à rien, avec vos mouches
crevées que même pas j'en ai peur, des mouches et de la peste qui mijote dans
leur boyaux tout secs!».
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Désarrois, haine, rage, tempête, larmes.
Puis le marteau, de nouveau, dans la chair momifiée du
bois, mais ça ne cède pas, alors, la grosse pierre ronde qui dort sous la
mousse, qui fait sa lourdasse un instant, mal réveillée, puis qui finit par
s'apprivoiser à la poigne de l'enfant et qui prête gentiment sa force
d'inertie.
Et BOUM! Et BOUM!
Ça grince, ça miaule, ça crouicouille et soudain, il
est un temps où tout se rend à merci, ça craque et ça se déchire de haut en
bas.
La pierre tombe au sol.
Le chien hurle de terreur et s'enfuit.
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Dans les ressorts secrets de ses cellules, la matière
vivante désincarcère la dimension de conscience de l'agrégat des autres
dimensions et la fait surgir au monde en un prodigieux appétit d'être, de
sentir, de s'étendre, de se prolonger, de se tester, de conquérir, de
s'amalgamer, de fusionner, de rebondir, de se libérer, de durer, de s'adapter,
de vaincre, de dépasser, de se dépasser. Toute l'histoire de l'évolution des
espèces procède de cette énergie libérée du cœur de la matière qui, à force de
patience et d'opiniâtreté a réussi à extirper le vol majestueux du goéland à la
glaise originelle!
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Chez l'humain, la dimension de conscience, endormie de
toute éternité dans les cristaux et les sels des cellules, s'éveille, se distille,
éclot, se déploie, irradie en ondes vibrillonnantes.
Les émotions, l'amour, la musique, la poésie, l'art,
le sens de la justice, de la dignité, brûlent de ces feux-là.
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Seule la « conscience de soi » s'évanouit à la mort de
l'être. La dimension de conscience universelle, elle, au gré des dilutions des
cellules, des dessèchements des tissus, des désolidarisations des corpuscules,
se recroqueville peu à peu, régresse de son état rayonnant à sa viscosité de
lave tiédissante; les crépitements enthousiastes et pimpants de feu d'artifices
font place à des craquements de branchages morts sous le poids du givre, la
poudre du grand silence noir enveloppe chaque grain du corps mort d'une nuit
d'encre. La dimension de conscience de chaque atome se réfugie, incognito,
sagement, modestement, dans son ré-endormissement, à l'abri discret des autres
dimensions de l'univers.
Enrichie, peut-être, d'une espèce de lueur mémorielle.
Peut-être. Qui sait...
………………………………………
Tout ce qui a flamboyé de vie redevient poussière,
poussière endormie, poussière anonyme, poussière morte, mais poussière cocon de
la dimension chrysalide de la conscience universelle.
En attente.
En attente, en espoir, au hasard des courants d'eau,
au hasard des courants d'air, d'être réinvitée au grand bal du vivant.
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La torpeur tiède de l'après-midi somnolent est
soudainement lardée à grands coups de hurlements aigus, tranchants comme des
tessons de terreur, ça remonte vivement du vallon boisé par le chemin de
cailloux rêches, accompagné du rauque aboiement alarmé du gros chien noir. La
campagne assoupie frémit comme sous la claque gelée d'une bise d'hiver, l'air
se déchire comme découpé au rasoir.
« - Maman! Maman! Mamaaaan! »
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Et le couple enfant-chien surgit soudain du sous-bois,
là-bas, de toutes ses jambes, de toutes ses pattes, hurlant toujours à la mort,
poursuivi par un diable invisible. L'enfant tombe, se relève prestement, sans
s'inquiéter du sang qui sourd du genoux blessé, et reprend sa course effrénée,
les bras tendus vers sa mère qu'elle vient d'apercevoir, là-haut, dans sa
grande robe fuchsia, sa maman, sa maman, sa maman, enfin...
La mère la soulève de terre, comme d'un fleuve de
lave, serre sa petite très fort très fort sur sa poitrine, sa petite au visage
déchiré de griffes de ronces, sanguinolent, couvert de poudre grisâtre, comme
tout le reste de son corps. Comme sorti tout droit du grand cendrier des
enfers.
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Je veux pas mourir, maman! Tu crois que je vais
mourir?
Alors, serrant bien fort ce corps convulsé d'enfant
terrorisé sur sa poitrine de maman-refuge, il faut lui expliquer, à petits mots
tout doux, tout roses, tout rassurants, tout tièdes, que oui, la vie est belle,
merveilleuse, fleurie, empapillonnée, pleine de beaux et de moins beaux
moments, de couleurs, de chants d'oiseaux, de vent frais et de larmes
chagrines, mais que pour chacun ce n'est qu'un passage, mais un long passage,
qu'elle n'en est qu'à son début d'histoire de petite fille, que toute sa vie
est devant elle, qu'elle a tant de pages à écrire au grand livre blanc...
Illustrations D.M.
Texte déposé à SACD/SCALA
On peut entendre ce texte, lu par l’auteur, en cliquant sur le lien ci-dessous :