vendredi 29 juillet 2011

Récit poétique - DES HOMMES SONT VENUS




Le livre artisanal réalisé par l'auteur (version 2017)






DES HOMMES SONT VENUS


Toute une vie bouillonne depuis des siècles sous la protection d’un arbre magnifique, gigantesque. Un beau jour, une marée humaine aborde ce monde. Quand elle se retirera, un peu plus tard, tout aura disparu de l’arbre et du monde de l’arbre. Des hommes seront venus…

Récit poétique. 133 pages. Illustrations crayons couleur de l’auteur.


Extraits


L’arbre.
Ainsi le nomme-t-on
dans le langage
des hommes
car il est l’arbre.
Plus qu’arbre
l’arbre
celui-ci
celui qui,
lui.
Pas exprès,
sans le savoir
par la nature des choses
il griffe le ciel
enroule
nonchalamment
les nuages gris
ou blancs
ou autres
à l’hérissement
de ses épines
hautes.
Car il s’élève
le bougre
de toute sa sève
de toute sa fluidité conique
de tout son élan fibreux
jusqu’au bout
du grandir clair
du grandir libre
du grandir élégant
et léger.
Car il respire loin
car il respire droit
car il respire
au souffle pur
des brises d’altitude,
car il caresse
là-haut
le ventre duveteux
des anges
et gluant
des chimères
qui rient
et se pâment
et font semblant
d’exister
juste
juste
pour lui faire plaisir
et l’étourdir
de jeux.
………………………………….

D’un bois
basaltique
granitique
imputrescible
indifférent
à la hargne
du temps
et aux voracités
xylophages.
Massif
énorme
planté,
la ronde de cent hommes
n’en ferait pas le tour ;
ses racines
vrilleuses
fouilleuses
noueuses
s’ancrent
profondément
âprement
aux masses sourdes
et insoulevables
des tréfonds
et des strates
oubliées.
………………………………….

Haut et loin
érigé
bandant dru,
lui,
celui-ci
celui qui,
l’arbre
comme on dit
dans le langage
des hommes,
poursuit son temps
à digérer
goulu
les arabesques
des vents fous,
à se lessiver
aux pénétrantes
et indiscrètes
saucées automnales,
à gicler
tous azimuts
d’extravagantes
infusions
de pollen
suffoquant
et charmeur.
…………………………………………..

Mais, petites choses
agaçantes et
croquantes,
que n’êtes-vous restées
au sûr abri des nids
et des ruches ?
Cinglants
foudroyants
empaleurs de mouches
et siffleurs d’asticots,
mille espèces
d’oisillards
s’égosillent
au bonheur viandard
de la chasse
au vol plané
au vol fondu
au vol piqué ;
c’est un festin
pour ventres à hélices
pour estomacs à réaction.
Et dans quelle joie
et dans quelle bonne humeur !
Ça stridule
à toute volée
ça s’interpelle
de nichée en nichée
du fin haut du ciel
ça vous dégringole
raide
dru
impitoyable
gorge à l’air
aspirant, happant
par nuages
l’hyménoptère volage
et tellement occupé
à butiner
les croupes
haut perchées
des biches
tièdes.
……………………………….

Pelotonnées
l’hiver
agglutinées
soudées par grappes
respirant à peine
et d’un même rythme lent
quelques gouttes
d’air fade
sous une couette
de feuilles sèches
aux creux
des branches,
des tribus
de petites boules de poils
s’agitent
miraculeusement
aux premiers rayons
printaniers.
Ça sort
comme pour
la première fois
le nez
hors du nid,
ça s’éclate les yeux
de lumières
kaléidoscopiques
et la fourrure
de brise coquine…
………………………………………

Les ventres douillets
se referment
enfin
dans lesquels
les vivantes
lactances
se donnent
à fusionner
en d’autres
et d’autres encore
petites boules de poils
dormeuses
ou frénétiques.
………………………………………

Et l’homme donc !
On arrive
de toute la forêt
de toutes les tribus
pour s’enivrer
des effluves
du monde de l’arbre
comme on dit
dans le langage
des hommes.
Par deux,
par petits groupes rieurs
on se disperse
dans les buissons
opaques
fleuris
voilés
de coquettes
et douillettes
petites feuilles
vert acidulé.
On se glisse
fébrile
sous les rameaux
épineux,
on se tient
on se tire
par la main
et l’on chuchote
doucement
caresseusemment
à l’oreille
de l’autre…
……………………………………

… pour s’adonner
à une régalade
de sexe poivré
charnu
goûtu
offert
tendu
complice,
que de grands enfants
au menton à peine duveteux
tètent,
fiérots
et pour la première fois
un autre sein chaud
que celui
de leur mère,
que des filles
aux joues rouges
découvrent enfin,
après l’avoir tant rêvé,
tant imaginé,
le bâton dur
du mâle
dur et doux
fier et fragile
le bâton
le tison incandescent…
………………………………….

L’homme
plaqué à l’Hercule dressé
bien au-dessus
des brumes sombres
l’embrasse
l’étreint
le mesure
en fait le tour
frappant le sol
comme pour effrayer
les esprits endormis
des autres âges,
chuinte
comme des prières
ou des sortilèges,
s’anime
rouge et rude
de bouffées orgueilleuses,
transperce
de ses yeux fous
la masse
pourtant si dense
pour en saisir
les pulsations vitales,
les circulations internes,
les flux nourriciers.
Oui,
ça s’élève doré
mielleux
épais
goulûment,
comme une vague
aspirée
par le vide stellaire,
sous l’écorce
du monstre,
c’est palpable.
……………………………….

Le voilà
le petit homme
à pattes de sauterelle
se tournant
dos à l’arbre impassible
levant les bras
au ciel lourd
de buées sales,
jetant
à la face ahurie
des hiboux alarmés,
des cris de guerre
et s’étrangle :
- « Je baise le monde entier ! »
Il n’a plus
qu’à repartir,
rassuré,
jusqu’à la case triste
du village lointain
où personne
ne l’attend.











Poussière
après poussière
grain
après grain
le voile
de la rumeur
se tisse
tout d’abord
et longtemps
de petits riens
frissonnants
imperceptibles aux dormeurs
de l’arbre.
…………………………………….

Transportée
par la dernière
brise nocturne
une espèce
de mastication
lancinante
qui dévorerait au loin
des buissons
épineux et craquants.
Ça lance des
petites notes
sèches
sur un fond sourd
de broiement
d’écrasement.
Ça monte.
Comme chandelles
à la gifle soudaine
d’un courant d’air,
les rêves animaux
s’éteignent,
on s’alarme
on sursaute
on se fige
on tend l’oreille.
…………………………………………..

Par dessus la houle
sourde,
des tintements
des éclats métalliques
écorchent
vivement
le derme alangui
de l’ombre.
Ça s’approche.
La rumeur n’est plus
une simple rumeur,
ça se fait vibration
tressautement
piétinement
froissement
écrasement
brisement
craquement.
………………………………

Les bêtes
sans mots
pour le dire
mais savantes
de leur monde
comprennent
que ce sont
des hommes
des grappes d’hommes
des meutes d’hommes
un océan d’hommes
qui s’approchent ainsi
de toutes parts
vociférant
frappant
à pleines mains
la peau des tambours,
arrachant
à quelques cordes
de boyaux séchés
tendues sur des troncs creux
des criailleries
de l’autre monde.
………………………………..

Un brouhaha
impénétrable
charpenté
ossu
carapaçonne
ce coin du monde
saoulant les hommes
les compactant
en une espèce de masse
survoltée
orageuse
vibrante
grondante.
Il n’est plus de bruit
qu’humain,
tout autre être conscient
s’étant figé
d’effroi.
……………………………….

Cercle magique
donc
autour du géant
dans la nuit
confisquée.
À vingt pas,
sous l’injonction aboyée
de guerriers armés
qui leur font face,
les premiers rangs
de la marée humaine
s’accroupissent
puis les autres suivent
et bientôt
la plaine immense
au pied de l’arbre
est tapissée d’un peuple
hétéroclite
bigarré
de blanc
de rouge
et des milliers d’yeux éperdus
s’accrochent comme
des papillons
aux flammèches vacillantes
des torches.
……………………………………….

À peine les soies
se sont-elles frôlées,
l’immensitude
de la foule humaine se dresse
et rit
et gueule
et hurle
et vocifère
à la fête
et à la vie !
……………………………………..

...Et l’on égorge
à lames que veux-tu
la fine fleur
des troupeaux assoupis
et l’on dépèce
et l’on vide
et l’on embroche
et l’on cuit
et l’on chante
et l’on assaisonne
d’essences chaudes
aphrodisiaques
et l’on danse
et l’on découpe
et l’on arrache
et l’on dévore
et l’on s’enivre
aux cataractes
des outres vineuses
…………………………………….

Les deux grands rois
emplumés
ont joui aussi.
Descendus
de leurs échasses,
déparés
de leurs coiffes
de cacatoès,
vautrés sur des coussins
de duvet
de satin,
eux aussi
se sont gavés
au festin de chair,
eux aussi
ont plongé
fort et profond
dans les bouches roses…
……………………………………..

Ces gens qui
se donnaient à l’autre,
à l’étranger,
comme on ouvre sa porte
au mendiant
sans chercher à savoir
s’il s’est lavé,
s’il pue,
s’il grouille de vermine
ou déborde de foi,
ces gens,
ces peuples,
tout à l’heure débridés
dans les mille positions
de l’amour
du désir
et du coït humain,
ces gens
et ces peuples
tourmentés de haine attisée
de vindicte
et du goût retrouvé
du sang,
s’apprêtent au pire,
là,
tout de suite,
pourvu
qu’on leur lâche
la bride.
…………………………………..

Les deux peuples sont prêts,
on attend le signal,
le voilà.
On a retrouvé
le petit garçon
qui voulait tuer l’arbre.
Paré de plumes
bleues et jaunes
on le place
sur une petite estrade
face au géant de bois.
Il tient entre ses mains
un petit arc
et une flèche bariolée.
Tendant l’arme
de toutes
ses petites forces
de futur chasseur
de fauves
il crie :
-« Tiens, méchant
tu vas mourir ! »
et lâche son coup.
La flèche zigzague
jusqu’à l’arbre
et le touche.
On retire prestement
et l’enfant et l’estrade,
une immense clameur
vrille l’air.
Ca y est !
On attaque
c’est effrayant.
………………………………………

Ils sont quelques dizaines
des femmes
des hommes
des gamins
des presque-hommes
des presque-femmes
dans le peuple blanc
et dans le peuple rouge,
agglutinés
gesticulant autour des braseros
à s’enflammer
de révolte
de colère
d’indignation.
Laissera t-on
commettre l’infamie ?
Serions-nous encore humains
à voir mourir un monde,
à faire mourir un monde ?
………………………………..

Chahutée
par une brise vespérale,
une feuille de papier
s’élève
et plane
dans l’air violet,
offrant au vide spatial
l’image d’un peuple dansant
autour d’un arbre
d’un écureuil
d’un oiseau
d’un scarabée
d’une fourmi,
le dessin
qu’aurait voulu offrir
un petit garçon nu
à une petite fille nue
taquine
déhanchée
la tête légèrement penchée
et au sourire
moqueur.













Texte déposé à SACD/SCALA
Illustrations D.M.


Ce texte peut être lu dans son intégralité en cliquant sur le lien ci-dessous :

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