Le livre artisanal réalisé par l'auteur. |
Dissolution d'un ectoplasme
Monsieur TERRENEUVE, un homme d'une
soixantaine d'années est retrouvé chez lui dans un état d'abandon total.
Une travailleuse sociale est
désignée pour assurer auprès de lui un suivi éducatif.
Qui est cet homme?
Qui est cet homme?
Quel est son drame?
Pourquoi est-il tombé dans ce
gouffre de misère et de solitude?
Marie-Françoise va t-elle réussir à
le faire se redresser et retrouver ses facultés artistiques indéniables?
Mais, avant tout, un homme comme
Monsieur TERRENEUVE a t-il sa place dans une société formatée et confisquée
comme la nôtre ?
Répondre à cette question, c’est
peut-être trouver un vrai sens à la VIE…
Distribution
: 1 homme d’un certain âge, 2 femmes, 3 ou 4 personnes pour assurer les très
courts rôles des infirmiers et des nettoyeurs ainsi que les interventions du
Chœur.
Durée : 240
minutes environ dans l'intégral mais l'auteur autorise une mise en scène
"sélective" dans les interventions portées par les Choeurs.
Personnages
Monsieur JULIEN TERRENEUVE
MARIE- FRANCOISE
Madame GILBERTE
NETTOYEUR 1
NETTOYEUR 2
INFIRMIER 1
INFIRMIER 2
CHŒUR
Extraits
Mme
Gilberte Vous croyez que…
Nettoyeur
1 Un clébard, à tous les coups… Ah, la
vache !
Mme
Gilberte Ca dépasse l’entendement… Un chien crevé,
depuis des mois, dans un placard, au milieu des habits, au milieu de…
Nettoyeur
1 Ça va aller, petit ? Allez, on en met un
coup, j’ai pas envie de traîner dans c’te pourriture toute la nuit.
Nettoyeur
2 Ça va aller,
chef. Putain, vivement qu’on s’boive une bonne mousse !
Nettoyeur
1 Allez, ZOU ! Les étagères, mai’nant !
(Les étagères sont vidées de tout ce
qu’elles supportaient, boîtes de conserve, bouquins, dossiers cartonnés, tas de
papiers…)
Nettoyeur
1 Pas la peine
d’être si instruit, pour en arriver là…
Mme
Gilberte Détrompez-vous ! C’est souvent ceux-là qui…
…………………………………
Marie-Françoise Ça va pas, Monsieur TERRENEUVE ?
Vous vous sentez pas bien ?
C’est
important de bien manger, même quand y fait chaud comme ça. Et de boire, aussi
! C’est comme ça qu’on se déshydrate !
J’ai plus
qu’à les balancer, mes épinards.
Vous auriez
au moins pu les gouter !
J’peux pas
vous faire que des nouilles et des patates ! Y faut des vrais légumes, aussi !
Moi qui
voulais vous faire une ratatouille. Vous la mangerez, au moins ?
Si on mange
pas de légumes en cette saison…
Même le riz
au lait, vous l’avez laissé !
Vous allez
tomber malade, vous savez ?
…………………………………..
Mme Gilberte … Ce n’est pas grave, Monsieur
TERRENEUVE.
Ce n’est pas
grave.
Vous savez,
dans le social, on a l’habitude de l’ingratitude !
Ce n’est pas
tous les jours que l’on récolte des sourires et des remerciements !
Après tout,
on ne fait que notre travail, n’est-ce pas ?
Et nous
sommes payés à la fin du mois !
Alors, de
quoi se plaint-on, hein, je vous le demande !
Alors, vous
avez raison, Monsieur TERRENEUVE. Ne nous remerciez pas, on n’est pas là pour
ça. On est là pour faire notre métier, point barre.
Vous avez
raison.
Je fais mon
travail.
Et je vais
le faire jusqu’au bout, mon travail.
Et mon
travail, Monsieur TERRENEUVE, consiste aussi à vous mettre en garde.
Solennellement
!
Et je le
fais devant témoin…
………………………………….
Marie-Françoise
Vous savez, la p’tite, elle est en
deuxième année de danse.
C’est sérieux, pour elle ! Ca lui
donne tellement de bonheur ! Si vous la voyiez !
Elle rayonne, quand elle sort des
cours !
On est fier d’elle, vous savez !
Mon mari le montre pas trop, vous
savez comment sont les hommes, mais chais bien que…
Chais pas si j’vais continuer.
A m’occuper de vous.
Si ça doit continuer comme ça…
Si y doit jamais rien se passer…
Si vous devez jamais m’adresser la
parole…
Si ça doit toujours être comme ça, …
moi qui parle et vous qui…vous qui…
Chais même pas si vous m’entendez !
Et si vous m’entendez, chais même
pas si vous me comprenez !
Si vous comprenez mes mots !
J’ai beau être qu’une… qu’une… accompagnatrice…
Ça a beau être que mon travail… Ca
me rend malade, vous entendez, ça me rend malade !
A quoi je sers, moi ?
Qu’est-ce que je suis, moi, pour
vous ?
Si je suis rien pour vous, Monsieur
TERRENEUVE, si je suis rien, qu’une boniche qui épluche trois patates et qui
vous repasse vos chemises, dites-le moi franchement, juste ces trois mots-là,
et j’insisterai pas, j’vous emmerderai plus, j’vous dérangerai plus.
J’vous laisserai dans votre
solitude.
Puisque vous avez l’air d’aimer ça,
la solitude.
Sans personne pour vous enquiquiner
avec des conversations sans intérêt.
…………………………………
Marie-Françoise …Y coupe les feuilles en quatre, en six,
chais pas trop, il en a des tas…
Dessus, y gribouille, dessus… Y…
Au feutre… les feutres qui sont
fournis au départ, vous savez…Ça fait partie du…
Mais pas des dessins, c’est ça,
surtout qui…
Vraiment du gribouillis !
Non non, pas comme un enfant à
l’école !
Comme un enfant avant l’école !
Comme… Comme un bébé ! Comme un bébé
!
Chais pas… Vous mettez un bébé de
six mois devant un mur avec un feutre dans la main !
Pareil !
Chcruiiick chcruiiik chcruiiik !
Dans tous les sens !
Des dizaines, il en a gribouillés
comme ça, des dizaines…
……………………………….
Marie-Françoise … Et puis chuis partie, j’l’ai laissé avec
ses gribouillis qui ressemblent plus à des taillades, des… scarifications, que…
J’vous avoue que j’en suis malade,
quand je pense à ces…
J’me dis : « -Qu’est-ce qu’y doit
souffrir, ce pauvre homme, pour sortir ça… pour sortir QUE ça !»
J’arrête pas d’y réfléchir, depuis,
ça revient tout le temps…
J’ai peur que…
……………………………………
Marie-Françoise Sur le coup…
J’ai cru…
Mon dieu…
J’ai cru qu’il…
Pis non.
A un moment, il a dû sentir ma
présence.
Il s’est relevé d’une masse.
Dans sa robe de chambre et ses
cheveux hirsutes…
Et son visage…
Il m’a regardée…
Non, pas comme un enfant pris en
faute, non, pas comme ça…
Plutôt…
Comme un animal…
Comme une bête… oui… oui… une bête
surprise dans sa tanière, dans son sommeil…
Qui se sent prise au piège…
Perdue…
Il a passé sa main dans ses cheveux,
les yeux complètement affolés…
Il a saisi le papier sur la table
derrière lui, en le froissant.
Ça a été rapide mais j’ai eu le
temps de voir…
Des barbouillis de traits au feutre,
du noir et du rouge, du jaune, aussi, il me semble…
Mais délavé, comme si on avait
renversé du liquide dessus, vous voyez…
J’ai pensé qu’il avait renversé sa
tisane …
Mais le visage…
C’est là que j’ai compris.
Son visage tout taché lui aussi…
Et ses yeux si tristes et si
apeurés…
C’était pas la tisane, non, pas la
tisane.
Il a pleuré, j’en suis sûre, il a
pleuré sur son papier, sur son dessin.
Et y s’est endormi dessus…
…………………………………………
M.
Terreneuve Pardon…
Pardon…. Si je vous ai…
Vous êtes…
Quelqu’un… de très bien…
Marie-Françoise…
De... très bien…
C’est juste moi qui… qui…
C’est juste que…
S’il vous plait…
Ne me laissez pas…
S’il vous plait…
Je vais essayer…
Je suis si loin… si profond…
Je… Je….
Vous avez raison pour la nuit…
Sale endroit, la nuit…
Sale endroit.
Ça happe, ça dévore.
On ne réchappe pas de la nuit des
hommes.
Marie-Françoise On peut s’en échapper, Monsieur Julien, y
suffit d’une simple braise, et c’n’est plus la nuit.
Chuis avec vous, Monsieur Julien,
j’vous promets, j’vous abandonnerai pas.
J’vous promets.
………………………………
M.
Terreneuve Traitez-moi de malade mental, tant que vous
y êtes !
Marie-Françoise J’vous traite de rien du tout ! J’me
permettrais pas et chuis pas là pour ça et c’est pas mon genre !
J’vous expose juste la situation qui
m’fait penser, comprendre et vous exposer que j’n’ai pas la charge d’un mort
annihilé à tout jamais de la surface de la Terre, mais d’une personne vivante !
VIVANTE !
Qui a peut-être le sentiment de plus
exister, mais que j’peux aider, que j’VEUX aider, à retrouver le sens de sa vie
!
C’est peut-être des grands mots,
j’m’en excuse, mais c’est c’que j’pense et c’est comme ça que j’vois mon
rapport à vous.
M.
Terreneuve Mais qui êtes vous, à la fin, pour
décider…de …
De qui est vivant et de qui est mort
!
Savez-vous de quoi vous parlez ?
Vous êtes vraiment primaire, vous !
……………………………….
M.
Terreneuve Mes mains… Peut-on appeler ça des
mains ?
De la chair et… de l’os…
Des battoirs, peut-être…
Des arrache-clous…
Des gratte-oreilles…
Pour rester poli…
Voilà ce que vous voyez !
Voilà ce que tout le monde voit !
Voilà ce qui doit être montré et vu
!
Des mains battoirs
Des mains outils
Des mains de force
Des mains de bête
Des mains de forçat
D’homme de peines…
Des mains sans…
Sans…
Sans âme !
Mais je ne les reconnais pas, moi,
ces mains de glaise !
Ce ne sont pas elles qui ont éclos
dans le ventre de ma mère,
Jeunes et subtiles
Fines et sensibles…
………………………………….
Mme
Gilberte Vous m’entendez ? Ce n’est pas au mur que je
m’adresse, c’est à vous.
Demain matin !
Je repasse demain matin !
S’il reste un papier, une
cochonnerie, une tache par terre, c’est la porte, Monsieur TERRENEUVE !
Vous avez signé un contrat, je vous
le rappelle, Monsieur TERRENEUVE !
Et ce contrat est clair, net et
précis :
Les locaux doivent rester propres,
être quotidiennement entretenus.
Il n’est prévu nulle part qu’ils
puissent être transformés en foutoir !
Car c’est redevenu un foutoir, ici !
Vous avez à peine tenu trois mois.
Et ça recommence !
Ça dégénère !
On ne sait plus où mettre les pieds
!
C’est redevenu une écurie !
Vous en êtes conscient, au moins ?
Vous vous en rendez compte ?
M.
Terreneuve Ceci, Madame, est un atelier…
Un ATELIER d’ARTISTE !
Un ATELIER d’ARTISTE !
Pas une chambre d’hôpital… Pas une
salle d’opération !
C’est un peu anarchique, l’art, vous
savez…
Mme
Gilberte Vous êtes hébergé dans un appartement
thérapeutique, Monsieur TERRENEUVE, pas dans un LOFT de Bobo du Marais ou de
Saint Germain des Prés !
J’ai pour mission de vous
réapprendre la gestion du quotidien, les gestes simples de la vie d’un homme
normal !
Je suis là pour vous réapprendre à
vous laver, à manger proprement dans une assiette, avec des couverts et à boire
dans un verre !
Je suis là pour veiller à ce que
vous portiez des habits des slips et des chaussettes propres, sans traces de
merde et de vomi !
Je suis payée pour surveiller vos
progrès, pour les solliciter et les hâter, au besoin!
Que cela vous plaise ou non, cela
m’est complètement égal !
Je n’aurai, à votre endroit, aucun
état d’âme !
Vous m’avez comprise ?
M.
Terreneuve Je comprends que vous êtes une conne, «
Madame » GILBERTE
Une conne doublée d’une fasciste !
Mme
Gilberte Attention à ce que vous dites, Monsieur
TERRENEUVE !
Marie-Françoise Monsieur Julien, Monsieur Julien, non ! Non
!
……………………………….
M.
Terreneuve Forcalquier ! Alpes de Hautes
Provence, Pays de Giono, de Magnan… Moi, j’avais une espèce de chariot et je
présentais mes livres, ceux-là que vous avez retrouvés ! Et des cartes
poétiques, aussi ! J’avais tout inventé là-bas, au fond d’une cave noire comme
une mine, fraîche comme un cellier ! Comment on fait des bouquins avec une
vieille imprimante, une perceuse électrique et de la ficelle !
Je n’en reviens pas que vous… Mes
livres ! Mes livres !
Et les autres, des gens d’où ?
Marie-Françoise
D’un peu partout… Une dame belge qui
donnait toute sa collection de poésie !
Ils sont en bon état, dans
l’ensemble, vous avez vu ?
M.
Terreneuve C’est vrai, j’ai l’impression que je viens
juste de finir de les coudre ! Peut-être qu’on en a pris soin… peut-être qu’on
ne les a pas lus…
Marie-Françoise
Ah non ! Pas d’idées négatives
aujourd’hui !
Pourquoi on vous les aurait pris, si
c’était pour pas les lire ? Ce s’rait idiot !
M.
Terreneuve Excusez-moi… C’est vrai que parfois…
Si vous saviez….
Merci, Marie-Françoise…
Si vous saviez…
Je ne sais pas comment… vous dire…
Marie-Françoise Alors, dites rien, Monsieur Julien, j’avais
juste envie de vous faire plaisir, c’est tout.
M.
Terreneuve Vous êtes une fille bien
Marie-Françoise…
……………………………..
Marie-Françoise
Mais… vous n’avez pas le droit ! On
peut pas regarder les choses comme ça… avec ces yeux- là… Les dire avec ces
mots-là ! C’est pas vrai, ce que vous dites, Monsieur Julien, c’est pas vrai !
La vie est belle ! La vie est belle
!
M.
Terreneuve On peut penser ce qu’on veut de ma vision du
Monde, on peut la critiquer, la jeter en pâture aux hurlements effarouchés des
bonnes consciences émasculées, mais on n’a pas le droit de lui interdire
l’envergure de la PAROLE !
Est-ce que je vous empêche, moi,
d’écrire que la vie est belle ?
Est-ce que je vous en empêche ?
Alors-même que ces mots véhiculent une ineptie, un mensonge ! Que c’est une
insulte à toute la misère qui pourrit la vie des peuples depuis la nuit des
temps !
La vie est belle !
La vie est belle !
La vie est belle !
Exclus de toutes sortes
Traine-savates
Traine-misère
Rongeurs de pain sec
Buveurs de flaques
Femmes maudites
Femmes percluses
Du poids des tâches
Et des humiliations !
Esclaves en vos solitudes blessées
Enfants mis à la chaine
Dressés à l’égorgeage
Sachez que la vie est belle !
Que la vie est belle !
Sachez-le, imbéciles aveugles,
Heureux ignorants de votre bonheur !
Marie-Françoise On peut pas passer sa vie à regarder que
c’qui tourne de travers, c’qui est moche, c’qui pourrit le Monde !
C’est inhumain, c’est insupportable
!
………………………………
Marie-Françoise
L’anniversaire d’la petite… J’ai cru
que…
J’ai pensé qu’il m’avait tendu la
perche…
Mme
Gilberte Il n’y a pas de perche tendue ou pas ! Le
règlement, le comportement professionnel….
Marie-Françoise Justement ! Justement !
J’avais pas envie d’vous entendre
dire ça ! J’ai voulu donner une chance à la vie !
Mme
Gilberte C’est réussi, vous en conviendrez !
Marie-Françoise Qu’est-ce vous attendez ? Que j’reconnaisse
qu’ça a foiré ? Qu’j’ai pas assuré ? Je reconnais, je reconnais !
Tout est parti en vrille, chais même
pas vraiment c’qui s’est passé ! Mais y avait rien pour qu’ça finisse comme ça…
rien de visible !
Ça d’vait être une super-journée…
familiale… familiale ! Comme y en a des millions ce jour-là qui ont passé une
super-journée familiale !
Qui aurait pu imaginer ?
…………………………….
Mme
Gilberte Ma petite fille, fallait faire bonne
Sœur, pas travailler dans le social ! Dans le social, il y a des règles et on
ne joue pas avec le secret de la confession.
Tout élément, toute information
doivent être rapportés et analysés en équipe. On n’est pas là pour faire la
charité ou avoir des coups de cœurs mais pour établir des diagnostics, établir
des cadres et élaborer des projets ! Ce n’est que comme cela qu’on peut faire
évoluer positivement la situation de chaque cas social !
Marie-Françoise C’est pas des « Cas sociaux » ! C’est pas
des « CASOC’ » !
Je hais ce mot-là !
J’peux plus l’entendre !
J’l’ai utilisé, moi aussi… Mais là,
j’peux plus ! Y m’fout la gerbe ! C’est une honte, ce mot… c’est…
Mme
Gilberte Ça vous reprend ?
…………………………..
Chœur Entouré des cygnes majestueux qui voient en lui un
camarade de repas et de jeux, le
poète aux mots interdits, aux mots
emmurés, aux mots noyés dans la boue des viles strates, le poète glisse ses
mains dans les poches de son vieux veston dépareillé, serre les poings, emplit
ses poumons et, une à une, descend les marches qui poursuivent leur farandole
triste sous les puissantes et froides eaux du fleuve.
Il s’immobilise un instant à
admirer, à hauteur de regard, le glissement léger et silencieux des superbes
oiseaux.
« -Que la vie vous soit douce,
petits amours ! ».
Enfin, triste et confiant, il
s’abandonne à l’onde, espérant la paix de l’ultime et salvatrice dissolution.
Texte déposé à SACD/SCALA
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