jeudi 28 juillet 2011

Théâtre - DISSOLUTION D'UN ECTOPLASME


Le livre artisanal réalisé par l'auteur.



 
    Dissolution d'un ectoplasme
 








Monsieur TERRENEUVE, un homme d'une soixantaine d'années est retrouvé chez lui dans un état d'abandon total.

Une travailleuse sociale est désignée pour assurer auprès de lui un suivi éducatif.
Qui est cet homme?

Quel est son drame?

Pourquoi est-il tombé dans ce gouffre de misère et de solitude?

Marie-Françoise va t-elle réussir à le faire se redresser et retrouver ses facultés artistiques indéniables?

Mais, avant tout, un homme comme Monsieur TERRENEUVE a t-il sa place dans une société formatée et confisquée comme la nôtre ?

Répondre à cette question, c’est peut-être trouver un vrai sens à la VIE…

Distribution : 1 homme d’un certain âge, 2 femmes, 3 ou 4 personnes pour assurer les très courts rôles des infirmiers et des nettoyeurs ainsi que les interventions du Chœur.

Durée : 240 minutes environ dans l'intégral mais l'auteur autorise une mise en scène "sélective" dans les interventions portées par les Choeurs.



Personnages


Monsieur JULIEN TERRENEUVE

MARIE- FRANCOISE

Madame GILBERTE

NETTOYEUR 1

NETTOYEUR 2

INFIRMIER 1

INFIRMIER 2

CHŒUR


Extraits



Mme Gilberte    Vous croyez que…

Nettoyeur 1    Un clébard, à tous les coups… Ah, la vache !

Mme Gilberte    Ca dépasse l’entendement… Un chien crevé, depuis des mois, dans un placard, au milieu des habits, au milieu de…

Nettoyeur 1    Ça va aller, petit ? Allez, on en met un coup, j’ai pas envie de traîner dans c’te pourriture toute la nuit.

Nettoyeur 2    Ça va aller, chef. Putain, vivement qu’on s’boive une bonne mousse !

Nettoyeur 1    Allez, ZOU ! Les étagères, mai’nant !

(Les étagères sont vidées de tout ce qu’elles supportaient, boîtes de conserve, bouquins, dossiers cartonnés, tas de papiers…)

Nettoyeur 1    Pas la peine d’être si instruit, pour en arriver là…

Mme Gilberte    Détrompez-vous ! C’est souvent ceux-là qui…
…………………………………


Marie-Françoise    Ça va pas, Monsieur TERRENEUVE ? Vous vous sentez pas bien ?

C’est important de bien manger, même quand y fait chaud comme ça. Et de boire, aussi ! C’est comme ça qu’on se déshydrate !

J’ai plus qu’à les balancer, mes épinards.

Vous auriez au moins pu les gouter !

J’peux pas vous faire que des nouilles et des patates ! Y faut des vrais légumes, aussi !

Moi qui voulais vous faire une ratatouille. Vous la mangerez, au moins ?

Si on mange pas de légumes en cette saison…

Même le riz au lait, vous l’avez laissé !

Vous allez tomber malade, vous savez ?
…………………………………..

Mme Gilberte    … Ce n’est pas grave, Monsieur TERRENEUVE.

Ce n’est pas grave.

Vous savez, dans le social, on a l’habitude de l’ingratitude !

Ce n’est pas tous les jours que l’on récolte des sourires et des remerciements !

Après tout, on ne fait que notre travail, n’est-ce pas ?

Et nous sommes payés à la fin du mois !

Alors, de quoi se plaint-on, hein, je vous le demande !

Alors, vous avez raison, Monsieur TERRENEUVE. Ne nous remerciez pas, on n’est pas là pour ça. On est là pour faire notre métier, point barre.

Vous avez raison.

Je fais mon travail.

Et je vais le faire jusqu’au bout, mon travail.

Et mon travail, Monsieur TERRENEUVE, consiste aussi à vous mettre en garde.

Solennellement !

Et je le fais devant témoin…
………………………………….

Marie-Françoise    Vous savez, la p’tite, elle est en deuxième année de danse.

C’est sérieux, pour elle ! Ca lui donne tellement de bonheur ! Si vous la voyiez !

Elle rayonne, quand elle sort des cours !

On est fier d’elle, vous savez !

Mon mari le montre pas trop, vous savez comment sont les hommes, mais chais bien que…

Chais pas si j’vais continuer.

A m’occuper de vous.

Si ça doit continuer comme ça…

Si y doit jamais rien se passer…

Si vous devez jamais m’adresser la parole…

Si ça doit toujours être comme ça, … moi qui parle et vous qui…vous qui…

Chais même pas si vous m’entendez !

Et si vous m’entendez, chais même pas si vous me comprenez !

Si vous comprenez mes mots !

J’ai beau être qu’une… qu’une… accompagnatrice…

Ça a beau être que mon travail… Ca me rend malade, vous entendez, ça me rend malade !

A quoi je sers, moi ?

Qu’est-ce que je suis, moi, pour vous ?

Si je suis rien pour vous, Monsieur TERRENEUVE, si je suis rien, qu’une boniche qui épluche trois patates et qui vous repasse vos chemises, dites-le moi franchement, juste ces trois mots-là, et j’insisterai pas, j’vous emmerderai plus, j’vous dérangerai plus.

J’vous laisserai dans votre solitude.

Puisque vous avez l’air d’aimer ça, la solitude.

Sans personne pour vous enquiquiner avec des conversations sans intérêt.
…………………………………

Marie-Françoise    …Y coupe les feuilles en quatre, en six, chais pas trop, il en a des tas…

Dessus, y gribouille, dessus… Y…

Au feutre… les feutres qui sont fournis au départ, vous savez…Ça fait partie du…

Mais pas des dessins, c’est ça, surtout qui…

Vraiment du gribouillis !

Non non, pas comme un enfant à l’école !

Comme un enfant avant l’école !

Comme… Comme un bébé ! Comme un bébé !

Chais pas… Vous mettez un bébé de six mois devant un mur avec un feutre dans la main !

Pareil !

Chcruiiick chcruiiik chcruiiik ! Dans tous les sens !

Des dizaines, il en a gribouillés comme ça, des dizaines…
……………………………….

Marie-Françoise    … Et puis chuis partie, j’l’ai laissé avec ses gribouillis qui ressemblent plus à des taillades, des… scarifications, que…

J’vous avoue que j’en suis malade, quand je pense à ces…

J’me dis : « -Qu’est-ce qu’y doit souffrir, ce pauvre homme, pour sortir ça… pour sortir QUE ça !»

J’arrête pas d’y réfléchir, depuis, ça revient tout le temps…

J’ai peur que…
……………………………………

Marie-Françoise    Sur le coup…

J’ai cru…

Mon dieu…

J’ai cru qu’il…

Pis non.

A un moment, il a dû sentir ma présence.

Il s’est relevé d’une masse.

Dans sa robe de chambre et ses cheveux hirsutes…

Et son visage…

Il m’a regardée…

Non, pas comme un enfant pris en faute, non, pas comme ça…

Plutôt…

Comme un animal…

Comme une bête… oui… oui… une bête surprise dans sa tanière, dans son sommeil…

Qui se sent prise au piège…

Perdue…

Il a passé sa main dans ses cheveux, les yeux complètement affolés…

Il a saisi le papier sur la table derrière lui, en le froissant.

Ça a été rapide mais j’ai eu le temps de voir…

Des barbouillis de traits au feutre, du noir et du rouge, du jaune, aussi, il me semble…

Mais délavé, comme si on avait renversé du liquide dessus, vous voyez…

J’ai pensé qu’il avait renversé sa tisane …

Mais le visage…

C’est là que j’ai compris.

Son visage tout taché lui aussi…

Et ses yeux si tristes et si apeurés…

C’était pas la tisane, non, pas la tisane.

Il a pleuré, j’en suis sûre, il a pleuré sur son papier, sur son dessin.

Et y s’est endormi dessus…
…………………………………………

M. Terreneuve    Pardon…

Pardon…. Si je vous ai…

Vous êtes…

Quelqu’un… de très bien…

Marie-Françoise…

De... très bien…

C’est juste moi qui… qui…

C’est juste que…

S’il vous plait…

Ne me laissez pas…

S’il vous plait…

Je vais essayer…

Je suis si loin… si profond…

Je… Je….

Vous avez raison pour la nuit…

Sale endroit, la nuit…

Sale endroit.

Ça happe, ça dévore.

On ne réchappe pas de la nuit des hommes.

Marie-Françoise    On peut s’en échapper, Monsieur Julien, y suffit d’une simple braise, et c’n’est plus la nuit.

Chuis avec vous, Monsieur Julien, j’vous promets, j’vous abandonnerai pas.

J’vous promets.
………………………………

M. Terreneuve    Traitez-moi de malade mental, tant que vous y êtes !

Marie-Françoise    J’vous traite de rien du tout ! J’me permettrais pas et chuis pas là pour ça et c’est pas mon genre !

J’vous expose juste la situation qui m’fait penser, comprendre et vous exposer que j’n’ai pas la charge d’un mort annihilé à tout jamais de la surface de la Terre, mais d’une personne vivante ! VIVANTE !

Qui a peut-être le sentiment de plus exister, mais que j’peux aider, que j’VEUX aider, à retrouver le sens de sa vie !

C’est peut-être des grands mots, j’m’en excuse, mais c’est c’que j’pense et c’est comme ça que j’vois mon rapport à vous.

M. Terreneuve    Mais qui êtes vous, à la fin, pour décider…de …

De qui est vivant et de qui est mort !

Savez-vous de quoi vous parlez ?

Vous êtes vraiment primaire, vous !
……………………………….

M. Terreneuve    Mes mains… Peut-on appeler ça des mains ?

De la chair et… de l’os…

Des battoirs, peut-être…

Des arrache-clous…

Des gratte-oreilles…

Pour rester poli…

Voilà ce que vous voyez !

Voilà ce que tout le monde voit !

Voilà ce qui doit être montré et vu !

Des mains battoirs

Des mains outils

Des mains de force

Des mains de bête

Des mains de forçat

D’homme de peines…

Des mains sans…

Sans…

Sans âme !

Mais je ne les reconnais pas, moi, ces mains de glaise !

Ce ne sont pas elles qui ont éclos dans le ventre de ma mère,

Jeunes et subtiles

Fines et sensibles…
………………………………….

Mme Gilberte    Vous m’entendez ? Ce n’est pas au mur que je m’adresse, c’est à vous.

Demain matin !

Je repasse demain matin !

S’il reste un papier, une cochonnerie, une tache par terre, c’est la porte, Monsieur TERRENEUVE !

Vous avez signé un contrat, je vous le rappelle, Monsieur TERRENEUVE !

Et ce contrat est clair, net et précis :

Les locaux doivent rester propres, être quotidiennement entretenus.

Il n’est prévu nulle part qu’ils puissent être transformés en foutoir !

Car c’est redevenu un foutoir, ici !

Vous avez à peine tenu trois mois.

Et ça recommence !

Ça dégénère !

On ne sait plus où mettre les pieds !

C’est redevenu une écurie !

Vous en êtes conscient, au moins ?

Vous vous en rendez compte ?

M. Terreneuve    Ceci, Madame, est un atelier…

Un ATELIER d’ARTISTE !

Un ATELIER d’ARTISTE !

Pas une chambre d’hôpital… Pas une salle d’opération !

C’est un peu anarchique, l’art, vous savez…

Mme Gilberte   Vous êtes hébergé dans un appartement thérapeutique, Monsieur TERRENEUVE, pas dans un LOFT de Bobo du Marais ou de Saint Germain des Prés !

J’ai pour mission de vous réapprendre la gestion du quotidien, les gestes simples de la vie d’un homme normal !

Je suis là pour vous réapprendre à vous laver, à manger proprement dans une assiette, avec des couverts et à boire dans un verre !

Je suis là pour veiller à ce que vous portiez des habits des slips et des chaussettes propres, sans traces de merde et de vomi !

Je suis payée pour surveiller vos progrès, pour les solliciter et les hâter, au besoin!

Que cela vous plaise ou non, cela m’est complètement égal !

Je n’aurai, à votre endroit, aucun état d’âme !

Vous m’avez comprise ?

M. Terreneuve    Je comprends que vous êtes une conne, « Madame » GILBERTE

Une conne doublée d’une fasciste !

Mme Gilberte    Attention à ce que vous dites, Monsieur TERRENEUVE !

Marie-Françoise    Monsieur Julien, Monsieur Julien, non ! Non !
……………………………….

M. Terreneuve    Forcalquier ! Alpes de Hautes Provence, Pays de Giono, de Magnan… Moi, j’avais une espèce de chariot et je présentais mes livres, ceux-là que vous avez retrouvés ! Et des cartes poétiques, aussi ! J’avais tout inventé là-bas, au fond d’une cave noire comme une mine, fraîche comme un cellier ! Comment on fait des bouquins avec une vieille imprimante, une perceuse électrique et de la ficelle !

Je n’en reviens pas que vous… Mes livres ! Mes livres !

Et les autres, des gens d’où ?

Marie-Françoise   D’un peu partout… Une dame belge qui donnait toute sa collection de poésie !

Ils sont en bon état, dans l’ensemble, vous avez vu ?

M. Terreneuve    C’est vrai, j’ai l’impression que je viens juste de finir de les coudre ! Peut-être qu’on en a pris soin… peut-être qu’on ne les a pas lus…

Marie-Françoise    Ah non ! Pas d’idées négatives aujourd’hui !

Pourquoi on vous les aurait pris, si c’était pour pas les lire ? Ce s’rait idiot !

M. Terreneuve    Excusez-moi… C’est vrai que parfois…

Si vous saviez….

Merci, Marie-Françoise…

Si vous saviez…

Je ne sais pas comment… vous dire…

Marie-Françoise    Alors, dites rien, Monsieur Julien, j’avais juste envie de vous faire plaisir, c’est tout.

M. Terreneuve    Vous êtes une fille bien Marie-Françoise…
……………………………..

Marie-Françoise    Mais… vous n’avez pas le droit ! On peut pas regarder les choses comme ça… avec ces yeux- là… Les dire avec ces mots-là ! C’est pas vrai, ce que vous dites, Monsieur Julien, c’est pas vrai !

La vie est belle ! La vie est belle !

M. Terreneuve    On peut penser ce qu’on veut de ma vision du Monde, on peut la critiquer, la jeter en pâture aux hurlements effarouchés des bonnes consciences émasculées, mais on n’a pas le droit de lui interdire l’envergure de la PAROLE !

Est-ce que je vous empêche, moi, d’écrire que la vie est belle ?

Est-ce que je vous en empêche ? Alors-même que ces mots véhiculent une ineptie, un mensonge ! Que c’est une insulte à toute la misère qui pourrit la vie des peuples depuis la nuit des temps !

La vie est belle !

La vie est belle !

La vie est belle !

Exclus de toutes sortes

Traine-savates

Traine-misère

Rongeurs de pain sec

Buveurs de flaques

Femmes maudites

Femmes percluses

Du poids des tâches

Et des humiliations !

Esclaves en vos solitudes blessées

Enfants mis à la chaine

Dressés à l’égorgeage

Sachez que la vie est belle !

Que la vie est belle !

Sachez-le, imbéciles aveugles,

Heureux ignorants de votre bonheur !

Marie-Françoise    On peut pas passer sa vie à regarder que c’qui tourne de travers, c’qui est moche, c’qui pourrit le Monde !

C’est inhumain, c’est insupportable !
………………………………

Marie-Françoise    L’anniversaire d’la petite… J’ai cru que…

J’ai pensé qu’il m’avait tendu la perche…

Mme Gilberte    Il n’y a pas de perche tendue ou pas ! Le règlement, le comportement professionnel….

Marie-Françoise    Justement ! Justement !

J’avais pas envie d’vous entendre dire ça ! J’ai voulu donner une chance à la vie !

Mme Gilberte    C’est réussi, vous en conviendrez !

Marie-Françoise    Qu’est-ce vous attendez ? Que j’reconnaisse qu’ça a foiré ? Qu’j’ai pas assuré ? Je reconnais, je reconnais !

Tout est parti en vrille, chais même pas vraiment c’qui s’est passé ! Mais y avait rien pour qu’ça finisse comme ça… rien de visible !

Ça d’vait être une super-journée… familiale… familiale ! Comme y en a des millions ce jour-là qui ont passé une super-journée familiale !

Qui aurait pu imaginer ?
…………………………….

Mme Gilberte    Ma petite fille, fallait faire bonne Sœur, pas travailler dans le social ! Dans le social, il y a des règles et on ne joue pas avec le secret de la confession.

Tout élément, toute information doivent être rapportés et analysés en équipe. On n’est pas là pour faire la charité ou avoir des coups de cœurs mais pour établir des diagnostics, établir des cadres et élaborer des projets ! Ce n’est que comme cela qu’on peut faire évoluer positivement la situation de chaque cas social !

Marie-Françoise    C’est pas des « Cas sociaux » ! C’est pas des « CASOC’ » !

Je hais ce mot-là !

J’peux plus l’entendre !

J’l’ai utilisé, moi aussi… Mais là, j’peux plus ! Y m’fout la gerbe ! C’est une honte, ce mot… c’est…

Mme Gilberte    Ça vous reprend ?
…………………………..

Chœur    Entouré des cygnes majestueux qui voient en lui un camarade de repas et de jeux, le

poète aux mots interdits, aux mots emmurés, aux mots noyés dans la boue des viles strates, le poète glisse ses mains dans les poches de son vieux veston dépareillé, serre les poings, emplit ses poumons et, une à une, descend les marches qui poursuivent leur farandole triste sous les puissantes et froides eaux du fleuve.

Il s’immobilise un instant à admirer, à hauteur de regard, le glissement léger et silencieux des superbes oiseaux.

« -Que la vie vous soit douce, petits amours ! ».

Enfin, triste et confiant, il s’abandonne à l’onde, espérant la paix de l’ultime et salvatrice dissolution.







Texte déposé à SACD/SCALA


Ce texte peut être lu dans son intégralité en cliquant sur le lien ci-dessous :



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