vendredi 29 juillet 2011

Récit poétique: COMME UN GÔUT DE CENDRE AU REVEIL



Le livre artisanal réalisé par l'auteur (version 2017).









COMME UN GÔUT DE CENDRE AU REVEIL



Texte poétique qui pourrait n’être que le récit d’un rêve amer. Et pourtant… Un humain se réveille en pleine nuit, et se retrouve enfermé dans un bocal en verre. A longueur d’étagères, autour de lui, des millions de bocaux comme le sien. Le sien ? Comment peut-il dire « le sien » ? C’est le début de son questionnement et des surprenantes réponses qui surgiront en lui au cours de ce voyage dans une civilisation en pleine dérive.

Livre illustré de photographies de l’auteur. 75 pages.



Extraits



Recroquevillé
ankylosé
dans un bocal en verre
épais
le bocal.
Ma respiration
lourde
pénible
opacifie
ma prison
d’un voile de buée.
Du juste bout des doigts
à moitié raides
gelés
entravés
j’efface
en sillons
maladroits
déformés et
déformants
un peu
du tissu
de cette humidité
qui exsude de moi
à chaque expiration
douloureuse
et interpose
sa brume pudique
comme pour me cacher
la vérité
du monde.
………………………………..

J’écrase, librement, donc,
mon nez
à la surface pisseuse
de mon bocal.
La dégoulinure permanente
de ma buée tiède
trouble assez
ma vision
mais quand même
à m’arracher les yeux
à force de vouloir
je finis par percer
leurs épaisseurs
sombres
car il est sombre
leur monde
comme ces fourrés
ces caves humides
où l’on trame.









Des bocaux
par milliers
par millions
par milliers de millions
alignés
numérotés
à longueurs et
longueurs
d’étagères infinies
autant que je puisse voir.
Au-dessous de moi,
très loin, très profond
au pied de centaines
de rangées monotones
un grouillement
infect
de bêtes qui rampent
des hordes de rats
bruns
noirs
aux yeux fauves
se disputent âprement
farouchement
des bribes d’autres “MOI ”
sur un tumulus
de bocaux brisés…
……………………………..

Dans les bocaux
les plus proches du mien
-comment puis-je dire mien ?
celui qui me contient
serait plus juste-
je distingue
pliés
accroupis comme moi
immobiles
lugubres
les yeux perdus
dans le vague
infini
de l’ombre
des êtres
me ressemblant
décharnés pour les uns
bouffis pour les autres
mais tous bleuâtres,
d’une consistance molle
de bougie refroidie.
Suis-je bleu aussi ?










Tous égaux
tous embocalisés
stérilisés peut- être ?
Sommes-nous tous passés
au stérilisateur thermique
à l’ébouillantement généralisé et
impitoyable,
aux rayons purificateurs et
castrateurs
de quelque lampe de la
rédemptitude
universelle ?
Un frisson
un soupçon
une angoisse
un cri muet :
Y a t-il encore
quelque chose de
vivant
en moi ?
Un gêne
un germe
un rien
une vieille larme
oubliée au cœur
d’une glande
sèche ?
…………………………….

Mais alors
ceux-là
en bas
sur le tas grouillant de
rats
des ratés, aussi,
de la manipulation,
des pas bien saisis
des pas bien castrés
des porteurs de germes
comme
moi ?
Vais-je les rejoindre
serai-je précipité
aussi
et quand
dans le gouffre irrémédiable,
jeté aux appétits
éradicateurs
des hordes affamées des
poubelles à pattes ?
………………………………

Et vivant
t’es,
enfin,
viable,
enfin faut croire
puisque t’as peur
puisque ton cœur cogne
comme un malade
et que ça résonne
blang blang blang !
à tes oreilles pas mortes
elles non plus.
…………………………….

Il est
il pourrait être
il voudrait être
il devrait être
l’avenir- même
l’avenir déterminé
de l’Humanité
et on le martyrise
et on le ratatine
dans l’habit usé et
rapiécé
d’un Polichinelle de foire
et on le grime
d’un sourire
de carnassier
et on le chausse
de bottes à chenilles
et on lui donne à fredonner
pour entraîner
la marche
robotisée et
lobotomisée
du troupeau
des refrains
éternellement
épongés et
ressucés
aux flaques
bourbeuses
des latrines
du monde.










Comment exiger d’être
d’être vu
d’être reconnu
quand ma propre existence
n’est pas démontrable
identifiable
authentifiable
à mes propres yeux ?
…………………………………

Démocratie maquillée encore
martyrisée
dans sa définition
et son application puisque
tout peut
exister
mais que rien
ne peut prétendre
à être
reconnu !
…………………………………..

Combien reconnaissent
d’autres “Moi”
dans ces présences
vitrifiées
inaccessibles
inabordables ;
combien ont
le sentiment
d’être un “Moi”
si commun et
pourtant
si unique ?
Tous peut-être
tous sûrement
pourquoi en serait-il autrement ?
……………………………

Et pourtant
cette carapace de verre
qui nous isole
chacun
de la peste des autres
cette carapace hermétique
exsudée pourtant de
notre propre chair
de notre propre peur
de notre propre méfiance
cette carapace inviolable
croit-on
n’est-elle pas
notre organe souverain
l’organe ultime
abouti
de la plus formidable
mutation volontaire
humaine ?
……………………………….

L’Humanité a enfin
trouvé sa voie
puisque nous voilà tous
stérilisés
tous hors d’atteinte de
la corruption
comme des sardines
dans leur boite ;
la grande aventure humaine
enfin aboutie,
la grande histoire de
la matière
a enfin trouvé son sens :
l’ordre règne dans
le monde des bocaux
les petits dans les grands
les grands dans les immenses
et pas un sans étiquette
puisqu’on vous dit
que l’ordre règne
dans le monde
des hommes
à carapace
de verre
désormais et
à jamais.










D’accord
j’ai des yeux
on a tous des yeux
et les yeux
ça voit
mais ça s’arrête là ;
les choses sont là
les choses se passent
je les vois
mais elles
ne me regardent pas !
Réfléchir mais
comme un miroir
ne pas se laisser souiller par
les images
pas de traces
pas de souvenirs
pas d’émotions.
Propre.
Rester propre.
Analyser
c’est se salir à
la boue
du monde.
………………………………………

Un déréglage incompréhensible
affecte certainement
la bonne et seule concevable
marche des choses
et nous sommes
elle et moi et d’autres peut-être
victimes innocentes
irresponsables
de cette émergence d’anomalies,
moi avec mes échappées
de mots,
les autres, en bas,
jetés aux bêtes
pour je ne sais quelles
monstruosités
et elle
Elle
qui s’offre
qui s’étale
qui s’exhibe
impudemment
mais innocemment
c’est certain
au regard du monde,
lumineuse
belle, oui,
belle
et légère,
parée
de deux paires
irisées
frissonnantes
ravissantes
d’ailes
de libellule.
Deux paires d’ailes
dont la tiédeur
transparente et
palpitante
se rit de
l’épaisseur
du bocal
et irrite
les X dimensions
de l’univers
de flammèches
multicolores.
………………………………………

Ils ne cherchent, eux,
les bien protégés
les réussis
les parfaits
les sainement isolés
les bocalisés sans défaut
les décuriosifiés
les vrais innocents,
ils ne cherchent, eux,
ni à sentir le monde
ni à le comprendre
ni à le juger
ni même à le voir
tant ils sont recentrés
sur leur seule mission
notre seule mission
notre unique raison d’être :
secréter et offrir
de l’énergie pure
dans le douillet
et protecteur isolement
de son bocal
pour alimenter gras et
chaud les rouages
du Céleste Engrenage.
………………………………..

Je sais maintenant
l’atrocité de
leur monde
de leur ordre des choses
l’infamie de
notre aveuglement
de notre repli
égocentrique.
Je sais.
Mon corps
mon cœur
mon esprit
se sont ouverts à
l’évidence
c’en est fini de l’insouciance
de l’ignorance
je sais et
j’en paierai le prix
mais j’aurai vu
j’aurai regardé en face
l’acte barbare
criminel
impardonnable
et ils auront lu
la condamnation
dans la haine de
mon regard.
…………………………

Que quelques bocaux volent
en éclats
à la piqûre d’une note
encore plus vive
que quelques bougies molles
s’éveillent et
surprises
émettent ne serait-ce
qu’un piaillement étonné
et c’en serait fini
de la congélation
crapuleuse
du monde.
On se retrouverait
tous autant qu’on est
dans un brouhaha
assourdissant
rutilant, gai, clinquant
tissé n’importe comment
anarchiquement
fraternellement
librement
de tous les éclats de mots
les éclats de rires
les éclats d’amour
les éclats de vie.





Lecture au théâtre Le Carré 30 (Lyon 1er), avril 2011, en compagnie de Chantal PRIMET et Jeanne ROBERT.






Le texte à lire en intégralité (avec de nombreuses illustrations) sur :

Le texte lu par l’auteur est à écouter sur :



Texte déposé à S.A.C.D./SCALA











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